Le cosmos vient d’offrir à l’humanité une opportunité scientifique totalement imprévue. Deux engins spatiaux lancés vers des destinations complètement différentes sont amenés croiser la trajectoire de C/2024 S1 (ATLAS), le troisième objet interstellaire jamais détecté dans notre système solaire. Cette rencontre fortuite, qui n’a rien à voir avec leurs missions initiales, pourrait permettre de réaliser une première historique : prélever directement des échantillons de la queue d’une comète venue d’ailleurs. Mais le temps presse, et personne ne sait si les contrôleurs recevront l’alerte à temps.
Une comète interstellaire exceptionnellement active
Découverte début juin, C/2024 S1 (ATLAS) ne cesse d’impressionner les astronomes par son comportement remarquable. Contrairement aux comètes ordinaires de notre système solaire, cet objet venu d’un autre système stellaire déploie une queue spectaculairement active à mesure qu’il s’approche du Soleil. Les observations récentes de la NASA révèlent des jets d’eau massifs s’échappant de son noyau, laissant derrière elle un sillage de particules d’eau et, surtout, d’ions.
La comète atteindra son périhélie, le point de son orbite le plus proche du Soleil, le 29 octobre. À cette date, son activité devrait culminer, générant une queue ionique s’étendant potentiellement sur des millions de kilomètres. Récemment disparue de la vue des télescopes terrestres en raison de sa position, elle continue néanmoins sa course invisible, trainant derrière elle ce panache de matière interstellaire que nous n’avons jamais pu étudier de près.
Deux sondes au bon endroit au bon moment
L’opportunité provient d’un alignement cosmique parfaitement fortuit. Deux missions spatiales actuellement en transit vers leurs destinations respectives vont passer « sous le vent » de la comète dans une fenêtre temporelle extrêmement restreinte.
Hera, la sonde de l’Agence spatiale européenne en route vers l’astéroïde binaire Didymos-Dimorphos, celui-là même que la mission DART a percuté en 2022, traversera la zone concernée entre le 25 octobre et le 1er novembre. Quelques jours plus tard, entre le 30 octobre et le 6 novembre, ce sera au tour d’Europa Clipper, le vaisseau de la NASA lancé vers Europe, la lune glacée de Jupiter, de franchir potentiellement la queue cométaire.
Cette coïncidence temporelle exceptionnelle a inspiré Samuel Grand de l’Institut météorologique finlandais et Geraint Jones de l’ESA à publier une proposition audacieuse dans les Research Notes de l’American Astronomical Society : pourquoi ne pas détourner momentanément ces sondes de leur routine pour capturer des données sur cet objet venu d’un autre monde ?

Le défi de prédire l’imprévisible
Traverser la queue d’une comète ne consiste pas simplement à passer directement derrière elle. La dynamique est considérablement plus complexe. Le vent solaire, ce flux constant de particules chargées émises par notre étoile, repousse les ions cométaires dans une trajectoire courbe s’éloignant à la fois de la comète et du Soleil. La vitesse précise de ce vent détermine où se trouvent exactement ces particules à un instant donné.
Pour estimer ces positions, les chercheurs ont utilisé un modèle sophistiqué baptisé « Tailcatcher », capable de calculer la trajectoire des ions cométaires en fonction de différentes vitesses de vent solaire. Leurs calculs suggèrent que Hera passerait à environ 8,2 millions de kilomètres de l’axe central de la queue, tandis qu’Europa Clipper en serait à 8 millions de kilomètres.
Ces distances peuvent sembler considérables, mais elles restent dans la zone où les ions d’une comète aussi active que C/2024 S1 peuvent se disperser. Le problème majeur réside dans la précision du modèle, qui dépend de données sur le vent solaire généralement collectées après coup. Sans ces informations en temps réel, les prédictions conservent une marge d’incertitude substantielle.
Un instrument parfait, mais sur une seule sonde
L’ironie de cette situation réside dans une asymétrie instrumentale frustrante. Hera, qui passera la première, ne possède aucun équipement capable de détecter les ions attendus dans la queue, ni de mesurer les perturbations magnétiques caractéristiques de l’interaction entre l’atmosphère cométaire et le champ magnétique transporté par le vent solaire.
Europa Clipper, en revanche, dispose exactement de ce qu’il faut. Son instrument à plasma et son magnétomètre sont précisément conçus pour détecter ce type de phénomènes. Bien que destinés à étudier l’environnement magnétique d’Europe et son océan souterrain, ces instruments pourraient parfaitement capturer la signature ionique de la queue cométaire lors du passage.
Une course contre la montre
Le principal obstacle n’est ni technique ni scientifique, mais temporel. Organiser une observation non planifiée sur des sondes spatiales déjà en mission demande du temps, des autorisations, des ajustements de programmation et des vérifications. Or, la fenêtre d’opportunité se compte en jours, peut-être en heures.
Les équipes de contrôle d’Hera et surtout d’Europa Clipper doivent recevoir l’information, évaluer la faisabilité, obtenir les approbations nécessaires et reprogrammer leurs instruments. Tout cela dans un délai qui serait considéré comme irréaliste dans des circonstances normales.
Si cette coordination improvisée aboutit, l’humanité réalisera une première absolue : échantillonner directement la queue d’une comète interstellaire. Un exploit scientifique totalement imprévu, rendu possible par le hasard cosmique et la réactivité humaine.
