baïkal
Crédits : Simon Berger/Flickr

Sonder les mystères de l’univers dans le lac le plus profond du monde

En Russie, un télescope « chasseur » de neutrinos enfoui dans les profondeurs du lac Baïkal est sur le point de fournir de premiers résultats scientifiques après quatre décennies de revers politique.

Un orbe de verre de la taille d’un ballon de plage s’enfonce dans un trou dans la glace, puis un autre, puis un autre. Au total, 36 de ces détecteurs de lumière, filés dans un câble métallique, s’enfoncent dans le lac Baïkal à plus de 1200 mètres de profondeur.

Plus d’une soixantaine de ces câbles, maintenus en place par des ancres et des bouées à 3km de la côte sud, formeront cet observatoire pensé et construit pour explorer les trous noirs, les galaxies lointaines et les restes d’étoiles. Comment ? En piégeant des neutrinos, des particules cosmiques si petites et fugaces que plusieurs milliards de milliards d’entre elles traversent votre corps à chaque seconde.

Si seulement nous pouvions apprendre à lire les messages qu’ils véhiculent, nous pourrions sonder quelques-uns des plus importants mystères de l’univers. « Vous ne devriez jamais manquer l’occasion de poser des questions à la nature« , souligne Grigori V. Domogatski, 80 ans, physicien russe à l’origine de ce projet exceptionnel. « Vous ne savez jamais quelle réponse vous obtiendrez. »

L’aventure du lac Baïkal n’est pas le seul effort visant à traquer ces particules fantômes dans les endroits les plus reculés du monde. IceCube, piloté par les Américains et enfoui dans la glace antarctique près de la station du pôle Sud, est à ce jour le plus grand détecteur de neutrinos au monde. En s’appuyant sur une grille de détecteurs similaire, l’observatoire a identifié en 2017 son premier neutrino qui, selon les scientifiques, provenait sûrement d’un trou noir supermassif. Ce nouveau projet russe sera un complément important aux travaux de cette installation.

baïkal neutrinos
Un des détecteurs utilisés dans l’installation IceCube, en Antarctique. Crédits : Taavi Adamberg

Une ambition qui ne date pas d’hier

Les premiers travaux des scientifiques soviétiques ont inspiré le Dr Halzen, astrophysicien à l’Université du Wisconsin, à Madison, et directeur d’IceCube.

Dans les années 1970, malgré la guerre froide, les Américains et les Soviétiques travaillaient en effet ensemble pour planifier un premier détecteur de neutrinos en eau profonde au large des côtes d’Hawaï. Après l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques, ces derniers ont finalement été expulsés du projet.

Dès 1980, l’Institut de recherche nucléaire de Moscou a donc entamé ses propres efforts en ce sens, dirigé par le Dr Domogatski. Pour ce dernier, le lac Baïkal sonnait déjà comme une évidence. Un premier télescope a donc été développé.

Ce projet a mis du temps à se mettre en place à cause de l’effondrement de l’Union soviétique. À cette époque, de nombreux scientifiques du pays se retrouvent démunis, avant que le centre allemand de recherche sur les particules DESY ne rejoigne finalement l’aventure du Baïkal.

Christian Spiering, qui dirigeait l’équipe allemande, se souvient notamment avoir expédié des centaines de kilos de beurre, de sucre, de café, de saucisses, mais aussi des compléments de salaires pour soutenir les expéditions hivernales annuelles des Russes sur la glace.

Dès le milieu des années 1990, l’équipe russe avait réussi à identifier les neutrinos « atmosphériques » produits par les collisions dans l’atmosphère terrestre, mais pas ceux en provenance directe de l’espace extra-atmosphérique. Pour cela, il faut un plus gros détecteur.

Alors que la Russie commence à réinvestir dans la science dans les années 2000 sous la coupe de Vladimir V. Poutine, le Dr Domogatski réussit finalement à obtenir l’équivalent de plus de trente millions d’euros de financement pour construire un nouveau télescope au Baïkal.

baïkal
Grigori V. Domogatski, physicien russe, a mené la quête de construction de cet observatoire pendant quarante ans. Crédits : Sergey Ponomarev

Détecter la lumière Cherenkov

Pourquoi ce lac ? En fait, il est le plus profond du monde, mais il présente aussi l’une des eaux douces les plus claires de la planète… et un chemin de fer de l’époque tsariste longe commodément la rive sud. Plus important encore, il est recouvert d’une couche de glace de près d’un mètre d’épaisseur en hiver. Bref, le lac Baïkal est une plate-forme naturelle de choix pour installer un réseau de photomultiplicateurs sous-marins.

Le télescope du Baïkal « regarde vers le bas », à travers la planète, utilisant essentiellement la Terre comme un tamis géant. Il arrive en effet parfois qu’un neutrino percute un atome. Cette collision désintègre ainsi le noyau du neutrino qui se transforme en une autre particule : un muon, qui peut être reconnu grâce au cône de lumière bleue qu’il engendre (lumière Cherenkov).

Pour détecter ces faibles éclairs de lumière, les chercheurs développent ainsi des matrices de capteurs optiques sphériques (les fameux orbes). Selon l’orientation des cônes bleus, ils peuvent ensuite retracer le chemin du muon impliqué, et donc celui de son neutrino d’origine. N’ayant aucune charge électrique, les neutrinos ne sont en effet pas affectés par les champs magnétiques interstellaires et d’autres influences susceptibles de brouiller les trajectoires.

La construction de cet observatoire, le plus grand de ce type dans l’hémisphère nord, a commencé en 2015. Une première phase comprenant 2304 orbes suspendus dans les profondeurs devrait être terminée ce mois-ci, avant que la glace ne fonde. Désormais, on attend les premiers résultats scientifiques. Que la chasse commence !

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.