Crédit photo : Anthony Hutchings

Des paléontologues reconnaissent enfin l’existence de ce dinosaure emblématique en « version miniature »

Pendant des décennies, la question a divisé la communauté scientifique : le Nanotyrannus était-il un véritable dinosaure, ou simplement un T. rex qui n’avait pas encore atteint sa taille d’adulte ? Cette querelle, l’une des plus intenses de la paléontologie moderne, vient de trouver son épilogue. Une étude récente publiée dans la revue Nature apporte enfin des preuves irréfutables : le Nanotyrannus a bel et bien existé comme une espèce distincte, bouleversant notre compréhension de l’évolution des tyrannosaures et de l’écosystème nord-américain à la fin du Crétacé.

Un débat de quarante ans enfin tranché

Tout commence en 1942, avec la découverte d’un petit crâne de tyrannosaure dans la formation de Hell Creek, au Montana. Baptisé Nanotyrannus lancensis en 1988, ce fossile unique posait déjà question : s’agissait-il d’un nouveau prédateur miniature, ou d’un simple T. rex adolescent ? Au fil des décennies, la majorité des paléontologues ont penché pour la seconde hypothèse, considérant que la petite taille et les os fins de ces spécimens traduisaient un âge juvénile plutôt qu’une espèce à part entière.

Mais la nouvelle étude menée par Lindsay Zanno (Université d’État de Caroline du Nord) et James Napoli (Université Stony Brook, New York) change la donne. En examinant un fossile exceptionnellement complet provenant des célèbres « Dinosaures en duel » — les restes fossilisés d’un tyrannosaure et d’un Triceratops retrouvés ensemble — les chercheurs ont découvert un spécimen presque adulte, mais bien plus petit qu’un T. rex. Les analyses microscopiques de la structure osseuse ont confirmé que l’animal avait atteint la maturité : il ne pouvait donc pas s’agir d’un jeune T. rex.

Un prédateur miniature aux caractéristiques uniques

Le spécimen étudié, long d’environ 4,5 mètres et pesant près de 700 kilogrammes, présente plusieurs différences anatomiques frappantes avec le T. rex. Ses bras sont proportionnellement plus longs, ses jambes plus fines et sa mâchoire garnie de dents plus nombreuses mais plus fines. Son crâne montre également une organisation nerveuse distincte et un nombre réduit de vertèbres caudales. Autant de traits qui, combinés, tracent le portrait d’un prédateur élancé, agile et rapide, bien différent du colosse lourd et massif qu’était le T. rex.

Selon Zanno, le Nanotyrannus occupait sans doute une niche écologique complémentaire : un chasseur de moyenne taille capable de s’attaquer à des proies plus rapides, là où le T. rex dominait les grandes chasses par sa puissance brute. Ces deux espèces auraient ainsi coexisté dans les mêmes régions de l’Ouest américain, chacune adaptée à un mode de vie différent. Cette découverte révèle une diversité insoupçonnée parmi les tyrannosaures de la fin du Crétacé, longtemps considérés comme des prédateurs solitaires et uniformes.

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Lindsay Zanno, co-auteure de l’étude, est assise à côté du célèbre spécimen des « Dinosaures en duel » provenant de la formation de Hell Creek, dans l’est du Montana. Crédit photo : Université d’État de Caroline du Nord

Un consensus scientifique qui se renforce

Fait rare dans un domaine aussi polémique, la communauté paléontologique semble largement convaincue. Dave Hone (Université Queen Mary de Londres), longtemps sceptique, reconnaît que la preuve est désormais « solide ». Steve Brusatte (Université d’Édimbourg), figure majeure de la recherche sur les tyrannosaures, admet lui aussi s’être trompé : selon lui, les caractéristiques du spécimen prouvent « hors de tout doute raisonnable » que Nanotyrannus est une espèce distincte. Même Thomas Carr, fervent défenseur de l’hypothèse du jeune T. rex, concède que le spécimen adulte découvert constitue une démonstration concluante.

Toutefois, des divergences subsistent sur la classification exacte de cette nouvelle espèce. Certains chercheurs, comme Carr, estiment que le Nanotyrannus devrait être considéré comme une espèce sœur du T. rex, intégrée au même genre sous le nom de Tyrannosaurus lancensis. D’autres, à l’image de Zanno et Napoli, le placent dans une lignée plus primitive, extérieure à la famille directe des tyrannosauridés. Ces désaccords taxonomiques ne remettent pas en cause l’essentiel : le Nanotyrannus existait bien, et son identification rebat les cartes de l’évolution des grands prédateurs du Crétacé.

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Les différences entre les espèces de dinosaures Nanotyrannus et T. Rex qui vivaient probablement dans le même écosystème à la fin du Crétacé. Crédit photo : Musée des sciences naturelles de Caroline du Nord

De nouvelles pistes sur la croissance du T. rex

La redécouverte du Nanotyrannus soulève une autre question fondamentale : où sont passés les jeunes T. rex ? Pendant des années, les paléontologues ont interprété de nombreux petits fossiles comme des juvéniles, à tort semble-t-il. Si ces individus appartiennent en réalité à des espèces distinctes comme Nanotyrannus lancensis ou le possible Nanotyrannus lethaeus (le spécimen connu sous le nom de « Jane »), cela signifie que très peu de squelettes de jeunes T. rex ont été correctement identifiés.

Cette absence oblige à repenser complètement les modèles de croissance et de développement du roi des dinosaures. Le T. rex ne subissait peut-être pas les profondes transformations morphologiques qu’on lui attribuait en vieillissant. Comme son proche cousin asiatique Tarbosaurus bataar, il pourrait avoir simplement grandi en conservant les mêmes proportions. En d’autres termes, le « roi des lézards tyrans » ne passait pas par une phase juvénile radicalement différente, mais grandissait progressivement jusqu’à atteindre sa taille monumentale.

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Les os du bras droit d’un Tyrannosaurus rex (à gauche) et d’un Nanotyrannus (à droite). Crédit photo : Musée des sciences naturelles de Caroline du Nord)

Un nouveau regard sur l’âge d’or des tyrannosaures

La confirmation de l’existence du Nanotyrannus ne se limite pas à la résolution d’un vieux débat : elle redessine la carte écologique de la fin du Crétacé. Loin d’un monde dominé par un seul superprédateur, les plaines de l’Ouest nord-américain abritaient plusieurs espèces de tyrannosaures cohabitant, chassant et se disputant les ressources. Cette diversité, aujourd’hui mise en lumière, témoigne d’un écosystème bien plus complexe et dynamique qu’on ne l’imaginait.

Pour Lindsay Zanno, cette découverte marque un tournant : il faut désormais réévaluer des décennies de recherches fondées sur une confusion entre jeunes T. rex et Nanotyrannus. En dévoilant l’existence d’un prédateur plus petit, rapide et spécialisé, cette étude ne se contente pas d’ajouter un nouveau nom à la liste des dinosaures connus — elle change profondément notre vision de la fin de l’ère des géants.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.