Plusieurs sénateurs et députés français ont signé une tribune dans la presse pour s’opposer à toute forme de hausse des taxes sur les cigarettes, s’alignant ainsi sur les argumentaires des industriels, alors que le tabagisme fait 75 000 morts par an en France. De quoi déclencher la colère de plusieurs médecins français rassemblés au sein du Comité national contre le tabagisme (CNCT), qui y voient « un des nombreux éléments d’une stratégie de lobbying d’ensemble de l’industrie du tabac ».
La hausse des taxes sur les cigarettes, mesure efficace contre le tabagisme selon l’OMS
Cette tribune, signée par Jean-Michel Fauvergue, ancien député de Seine-et-Marne aujourd’hui reconverti dans le conseil aux entreprises, s’est adjoint le soutien d’une dizaine de parlementaires, tous proches du centre et de la droite. Parmi eux, Aurore Bergé, députée des Yvelines, Éric Woerth, ancien ministre et député de l’Oise ou encore Thibault Bazin, député de Meurthe-et-Moselle. « Certains (signataires) sont proches des (industriels du tabac), à l’instar de Christophe Blanchet ou de Lise Magnier », s’indigne le Comité national contre le tabagisme, qui devine derrière ce texte l’influence des fabricants de cigarettes. L’un d’eux, Christophe Blanchet est en effet président du Comité national anti-contrefaçon (CNAC), qui rassemble notamment l’Union des Fabricants (UNIFAB), soutenu et financé par -entre autres- les industriels du tabac.
« Loin d’influencer le comportement des fumeurs vers un arrêt de la cigarette, la fiscalité du tabac les pousse de plus en plus dans les pas du commerce illicite », affirment-ils dans ce texte, publié le 15 novembre dernier. De quoi réjouir les industriels du tabac, qui militent de très longue date contre toute forme de hausse des taxes sur les paquets de cigarettes. « Cette tribune s’inscrit dans une stratégie de lobbying d’ensemble de la part des fabricants de tabac et de la Confédération des buralistes visant à empêcher toute hausse de la fiscalité sur les produits du tabac », estime d’ailleurs le CNCT.
Dans une situation budgétaire contrainte et un contexte de course effrénée aux recettes, cette tribune passe mal parmi certains parlementaires et des experts de la lutte antitabac. Il y’a quelques jours, plusieurs médecins français, dont l’ancien directeur général de Santé publique France, François Bourdillon, ont d’ailleurs rappelé à quel point le coût social du tabac était élevé : « Le coût social du tabac, qui prend en compte, en plus du coût des soins, le montant des richesses non produites du fait des pathologies des fumeurs, est estimé à plus de 156 milliards d’euros par an », ont-ils ainsi expliqué.
En effet, la hausse des taxes sur le prix du paquet est aujourd’hui largement admise comme l’un des principaux outils de la lutte contre le tabagisme. « La part des adolescents s’étant initiés au tabac a été divisée par deux lors de l’instauration du paquet à 10 euros », explique ainsi le même Comité national contre le tabagisme (CNCT) citant l’exemple français dans une lettre ouverte datée du 24 octobre dernier. Toujours en France, « les hausses de taxes menées à partir de 2017 ont permis un recul historique de la consommation chez les plus démunis », poursuivent les experts. Sur les liens entre hausse des taxes sur le prix du tabac et explosion du commerce parallèle, la prise de position des députés se heurte là encore aux données les plus récentes. « L’argument de l’industrie du tabac selon lequel les hausses de prix favoriseraient l’augmentation du marché parallèle […] doit être relativisé », rappelait ainsi, en mai 2024, le rapport de la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS), cité par le CNCT.
La contrebande, largement nourrie par les cigarettiers selon les études menées
« Les 18 milliards de cigarettes fumées qui forment le commerce parallèle en France arrivent dans notre pays de deux façons », peut-on lire dans une proposition de loi récemment déposée à l’Assemblée nationale, dont l’introduction explique que « la moitié vient de la contrebande, des cigarettes achetées dans les pays de l’Est où les taxes sont extrêmement faibles », et « l’autre moitié vient des achats frontaliers ». Le texte dénonce aussi le fait que les « industriels organisent le sous-approvisionnement de certains pays au bénéfice du surapprovisionnement d’autres… (…) », citant le cas du Luxembourg, où les cigarettiers « livrent sept fois plus de cigarettes que les Luxembourgeois n’en fument ».
Une démarche largement soutenue par les experts de la lutte antitabac, qui pourrait, à moyen-terme, voir le jour. « La grande majorité des achats hors réseau correspondent aux achats transfrontaliers, tandis que Santé publique France souligne que les achats de rue, correspondant au commerce illicite, demeurent à des niveaux résiduels » dénonce ainsi le CNCT, qui déplore « une ritournelle de l’industrie du tabac » et « une stratégie de lobbying d’ensemble de la part des fabricants de tabac », à laquelle semblent très perméables les députés.
Face aux marchés parallèles, les cigarettiers directement visés
Les experts de la lutte antitabac pointent aussi du doigt le manque de traçabilité dans l’Union européenne. Le système actuellement mis en œuvre, Codentify opéré par Inexto et possédé par Dentsu Tracking, pour assurer la traçabilité du trafic de tabac a en effet été créé par les industriels du tabac. Selon l’Universé de Bath, spécialiste de l’industrie du tabac, Inexto est ainsi « une simple société-écran et le système est toujours sous le contrôle effectif des fabricants de tabac ».
Les experts de la lutte antitabac pointent aussi du doigt le système de traçabilité de l’Union européenne. Le système actuellement mis en œuvre est opéré notamment par Inexto et Dentsu Tracking, deux sociétés dans la continuité directe du système Codentify de l’industrie du tabac, donnant une apparence juridique d’indépendance. Selon l’Université de Bath, spécialiste de l’industrie du tabac, Inexto est ainsi « une simple société-écran et le système est toujours sous le contrôle effectif des fabricants de tabac ». De même, « Dentsu Tracking, outre les nombreuses relations d’affaires historiques avec les géants du tabac, a quant à elle racheté une société qui était directement impliquée dans la mise en œuvre de Codentify » selon le British Medical Journal.