Des empreintes fossiles au Kenya révèlent la coexistence fascinante de deux espèces humaines

Crédits : N. Roach

Les rives du lac Turkana, dans le nord du Kenya, viennent de révéler un secret vieux de 1,5 million d’années. Des empreintes fossiles découvertes sur ce site apportent une preuve tangible que deux espèces humaines anciennes, Paranthropus boisei et Homo erectus, ont partagé le même paysage. Cette découverte ouvre une fenêtre unique sur les interactions potentielles entre ces deux groupes et sur leur mode de vie.

Quand deux espèces humaines arpentaient le même terrain

Il y a environ 1,5 million d’années, les rivages boueux d’un lac kenyan étaient un carrefour animé. Les empreintes fossiles retrouvées à Koobi Fora ne sont pas seulement celles d’hominines : elles se mêlent à celles d’antilopes, de chevaux, de phacochères et même de cigognes géantes. Ce site exceptionnel nous offre une vision rare d’un écosystème où différentes espèces humaines et animales cohabitaient.

Les empreintes attribuées à Paranthropus boisei et à Homo erectus témoignent d’une cohabitation physique, sinon sociale, entre ces deux espèces. Mais au-delà de cette proximité, les différences biologiques et comportementales révèlent des stratégies de survie divergentes, qui ont probablement influencé leur destin évolutif.

Paranthropus boisei : un spécialiste de la mastication

Avec un crâne adapté à de puissants muscles masticateurs et des molaires imposantes, Paranthropus boisei était parfaitement équipé pour un régime alimentaire composé principalement de végétaux coriaces. Cette espèce, qui mesurait environ 1,37 mètre, avait des caractéristiques physiques qui rappelaient plus les singes que les humains modernes. Ses pieds, par exemple, avaient un gros orteil plus mobile et divergent, une adaptation qui le rapprochait des chimpanzés.

Cependant, cette spécialisation extrême a peut-être scellé son sort. La dépendance à une alimentation végétale de faible qualité aurait limité sa capacité à s’adapter aux changements climatiques et écologiques, menant à son extinction il y a environ 1,2 million d’années.

Homo erectus : un pionnier évolutif

En contraste, Homo erectus, un ancêtre direct possible de l’Homo sapiens, était un modèle d’adaptabilité. Avec une stature plus élancée (entre 1,45 mètre et 1,85 mètre) et un cerveau plus volumineux que celui de Paranthropus, Homo erectus était capable de parcourir de longues distances, une caractéristique essentielle pour la chasse et la cueillette.

Son régime alimentaire, omnivore et enrichi en protéines animales grâce à l’utilisation d’outils, lui a donné un avantage compétitif certain. Les empreintes attribuées à Homo erectus révèlent un pied anatomiquement similaire à celui de l’homme moderne, avec une voûte plantaire bien définie, reflétant une démarche efficace pour explorer de nouveaux territoires.

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Le crâne et une reconstruction faciale d’Homo erectus. Crédits : Science Picture C

Un instant figé dans la boue

Les empreintes découvertes en 2021 semblent avoir été laissées dans un court laps de temps, peut-être en quelques heures ou jours, sur une surface boueuse qui ne s’est jamais fissurée sous le soleil. Les pistes montrent des chemins qui se croisent, laissant imaginer une rencontre potentielle entre ces deux espèces. Bien que rien ne prouve une interaction directe, la proximité physique de leurs traces soulève des questions intrigantes sur leur coexistence.

Selon le paléoanthropologue Kevin Hatala, co-auteur de l’étude publiée dans la revue Science, il est possible que les deux espèces aient occupé ce paysage commun sans rivalité directe. La spécialisation alimentaire de Paranthropus et l’adaptabilité d’Homo erectus auraient pu leur permettre de coexister en exploitant des niches écologiques différentes.

Un site riche en ressources et en risques

Le lac Turkana, à l’époque, était une oasis de biodiversité. L’embouchure de la rivière qui l’alimentait offrait une abondance de nourriture et d’eau, mais aussi des dangers. Des traces de grands prédateurs comme les crocodiles et les hippopotames montrent que les hominines prenaient des risques pour profiter des ressources du site.

Pourtant, les empreintes fossiles révèlent que ces environnements riches étaient cruciaux pour leur survie. « Le fait que ces deux espèces aient persisté dans des environnements aussi dangereux montre l’importance des ressources qu’ils offraient », souligne Neil Roach, biologiste de l’évolution à l’Université de Harvard.

Un témoignage unique sur l’évolution humaine

Les empreintes fossiles sont des archives vivantes du passé. Contrairement aux fossiles osseux ou aux outils, elles capturent des moments spécifiques, offrant un aperçu direct de la locomotion, de l’anatomie et du comportement des espèces anciennes. Les différences entre les empreintes de Paranthropus et d’Homo erectus reflètent non seulement leur morphologie distincte, mais aussi leurs modes de vie.

Paranthropus boisei, avec sa démarche plus plate, semblait évoluer dans un environnement limité. Homo erectus, lui, marchait déjà vers un futur plus vaste, devenant la première espèce humaine à s’étendre au-delà de l’Afrique.

Les empreintes fossiles de Koobi Fora ne sont pas seulement des traces dans la boue. Elles sont les témoins silencieux d’une époque où plusieurs espèces humaines partageaient un monde en constante évolution. Alors que l’une s’éteignait, incapable de s’adapter, l’autre prospérait, pionnière de la conquête humaine de la planète. Ces découvertes nous rappellent que l’évolution est autant une question d’adaptabilité que de survie dans un environnement changeant.

Sources : Science, Université Harvard, Université Chatham.