Pendant des décennies, nos connaissances sur les premiers hominidés reposaient sur des os, des dents et de nombreuses spéculations. Aujourd’hui, une avancée scientifique majeure vient bouleverser cette approche : pour la toute première fois, des chercheurs sont parvenus à déterminer le sexe biologique d’individus appartenant à une espèce humaine éteinte… vieille de deux millions d’années.
L’étude, publiée dans la prestigieuse revue Science, marque une étape décisive dans l’exploration de nos origines. Grâce à une méthode innovante – la paléoprotéomique – des scientifiques ont analysé des protéines fossiles extraites de dents retrouvées dans la célèbre grotte de Swartkrans, en Afrique du Sud. Et ce qu’ils ont découvert dépasse toutes les attentes.
Des protéines fossiles pour percer le mystère du sexe
Jusqu’à présent, il était impossible d’identifier le sexe des individus appartenant au genre Paranthropus, une lignée cousine de la nôtre, qui vivait il y a environ 2 millions d’années. La raison ? Leur ADN est bien trop ancien pour être préservé. Les chercheurs devaient alors s’en remettre à la forme et à la taille des os, en supposant que les mâles étaient plus grands que les femelles – une méthode sujette à erreur.
Mais cette fois, les scientifiques ont eu une autre idée : étudier les protéines de l’émail dentaire. Contrairement à l’ADN, certaines protéines peuvent survivre beaucoup plus longtemps. En utilisant des dents fossiles attribuées à Paranthropus robustus, l’équipe a pu reconstituer des séquences de peptides et identifier deux individus mâles et deux femelles.
Et là, surprise : l’une des plus petites dents appartenait à un mâle. De quoi remettre sérieusement en question les anciennes hypothèses basées uniquement sur la morphologie.

Une diversité génétique bien plus grande qu’on ne le pensait
Cette découverte ne se limite pas à une question de sexe. En observant de près les séquences protéiques, les chercheurs ont également mis en évidence des différences génétiques subtiles entre les dents analysées. L’une d’entre elles se distingue des autres par un seul acide aminé – une variation infime, mais significative.
Cela pourrait indiquer l’existence de différentes populations ou sous-espèces de Paranthropus, vivant simultanément dans la même région. Une hypothèse déjà soutenue par la découverte récente de Paranthropus capensis, une espèce décrite comme plus « gracile » que ses cousins.
En d’autres termes : la diversité au sein du genre Paranthropus était probablement bien plus vaste que ce que les paléoanthropologues imaginaient jusqu’ici.
Une nouvelle pièce du puzzle de l’évolution humaine
Présents en Afrique australe en même temps que les premiers représentants du genre Homo (Homo habilis, Homo erectus), les Paranthropus avaient un mode de vie mixte, entre marche bipède et escalade arboricole. Ils ne sont pas nos ancêtres directs, mais faisaient clairement partie du paysage évolutif de l’époque.
Les analyses montrent que leurs protéines dentaires sont très proches de celles du genre Homo, ce qui confirme leur parenté évolutive étroite avec notre propre lignée.
Pour le Dr Marc Dickinson, co-auteur de l’étude, « extraire d’anciens acides aminés de l’émail d’hominidés aussi anciens est stupéfiant. Cela ouvre des perspectives entièrement nouvelles pour comprendre notre histoire évolutive sur le continent. »
Et maintenant ?
Cette étude montre que même en l’absence d’ADN, la paléoprotéomique peut révolutionner la paléoanthropologie, en apportant des données objectives sur des individus très anciens. À l’avenir, cette méthode pourrait permettre de reclasser certaines espèces fossiles, d’en identifier de nouvelles, et surtout, de mieux comprendre la complexité et la richesse de l’évolution humaine en Afrique.
La science continue de faire parler les os – et désormais, les dents aussi.
