déchets alimentaires gaspillage plastique biodégradable
Crédits : Astrid860/istock

Des chercheurs transforment les déchets alimentaires en plastique et en engrais, une double victoire pour la Terre !

Dans les laboratoires de l’Université de Binghamton, une révolution silencieuse est en marche. Des scientifiques ont mis au point un procédé qui pourrait transformer radicalement notre approche du gaspillage alimentaire et de la pollution plastique. Leur arme secrète ? Des bactéries capables de dévorer nos déchets alimentaires pour produire du plastique biodégradable.

Quand deux fléaux environnementaux se rencontrent

L’ampleur du problème donne le vertige. Chaque année, les États-Unis gaspillent entre 30 et 40 % de leur production alimentaire totale, soit des milliards de tonnes de nourriture qui finissent leur course dans les décharges. En France, le gaspillage alimentaire représente également environ 9,4 millions de tonnes par an, dont près de 4 millions de tonnes sont encore consommables. Cela correspond à 20 à 25 % de la production alimentaire totale du pays. Ces montagnes de déchets organiques se décomposent alors en libérant massivement du méthane et du dioxyde de carbone, deux gaz à effet de serre particulièrement redoutables.

Parallèlement, notre dépendance au plastique conventionnel engendre une crise environnementale d’une autre nature. Les microplastiques envahissent nos océans, nos sols, et même notre organisme, créant une pollution invisible mais omniprésente qui menace l’ensemble des écosystèmes terrestres.

Face à ce double défi, l’équipe menée par Tianzheng Liu, doctorant en recherche sur les cellules souches, a imaginé une solution d’une élégance remarquable : et si ces deux problèmes pouvaient devenir la solution l’un de l’autre ?

Des bactéries transformées en usines microscopiques

La clé de cette innovation réside dans l’exploitation de micro-organismes aux capacités extraordinaires. Les chercheurs ont sélectionné une espèce bactérienne particulière, Cupriavidus necator, connue pour sa capacité à synthétiser des biopolymères. Ces bactéries deviennent de véritables usines microscopiques lorsqu’elles sont nourries avec des déchets alimentaires fermentés.

Le processus débute par la fermentation des restes de nourriture, qui génère de l’acide lactique servant de source de carbone aux bactéries. Enrichi en sulfate d’ammonium pour l’apport en azote, ce mélange constitue un festin parfait pour les micro-organismes. En se nourrissant, ces derniers fabriquent et stockent à l’intérieur de leurs cellules un bioplastique appelé polyhydroxyalcanoate, ou PHA.

L’efficacité du système impressionne : près de 90% du PHA produit peut être récolté et transformé en emballages biodégradables ou autres produits plastiques. Contrairement au plastique traditionnel, ce matériau se dégrade naturellement dans l’environnement, éliminant le risque d’accumulation à long terme.

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Tianzheng Liu, étudiant au doctorat à Binghamton, à gauche, et Sha Jin, professeur au département de génie biomédical, ont développé une méthode pour transformer les déchets alimentaires en plastique biodégradable. Crédit : Université de Binghamton, Université d’État de New York

Une robustesse prometteuse pour l’industrie

L’un des aspects les plus remarquables de cette découverte réside dans sa praticité. Les tests ont révélé que le processus tolère remarquablement bien les variations. Les déchets alimentaires peuvent être stockés pendant au moins une semaine sans altérer le rendement final, une flexibilité cruciale pour une application industrielle.

Plus surprenant encore, la nature des aliments utilisés importe peu. Que ce soient des restes de légumes, de viande ou de féculents, le système fonctionne efficacement tant que les proportions du mélange restent stables. Cette adaptabilité ouvre des perspectives considérables pour traiter les flux de déchets hétérogènes des cantines et restaurants.

Les chercheurs ont également découvert un bonus inattendu : le résidu pâteux restant après la fermentation présente un potentiel prometteur comme engrais organique. Cette valorisation complète du processus illustre parfaitement les principes de l’économie circulaire, où chaque déchet devient une ressource.

Des défis techniques surmontés

Tianzheng Liu avoue candidement que l’aventure n’a pas été sans embûches. Habitué à la recherche sur les cellules souches, il a dû maîtriser des techniques de fermentation bactérienne totalement nouvelles pour lui. « À chaque étape, j’avais l’impression que quelque chose n’était pas ce à quoi je m’attendais », confie-t-il.

Cette persévérance a payé. L’équipe a non seulement réussi à optimiser la production de PHA, mais elle a aussi résolu des défis pratiques majeurs comme le stockage des déchets et la standardisation du processus malgré la variabilité naturelle des aliments.

Vers une révolution industrielle verte

L’inspiration de cette recherche, publiée dans Bioresource Technology, est née d’une contrainte réglementaire : l’État de New York interdit l’envoi de déchets alimentaires en décharge, obligeant chaque campus universitaire à trouver des solutions alternatives. À Binghamton, les cantines donnaient traditionnellement leurs déchets aux agriculteurs locaux pour nourrir le bétail.

Sha Jin, professeure supervisant le projet, a vu dans cette contrainte une opportunité. « Nous pourrions transformer directement ces déchets alimentaires en plastique biodégradable« , s’est-elle dit. Une intuition qui pourrait révolutionner la gestion des déchets à l’échelle industrielle.

L’équipe prépare maintenant le passage à l’échelle supérieure, cherchant des partenaires industriels et des financements pour développer des installations pilotes. Si cette technologie tient ses promesses, elle pourrait transformer nos déchets alimentaires en matériau d’avenir, réconciliant enfin écologie et économie dans une symbiose vertueuse.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.