Avec le changement du climat, les spécialistes s’attendent à voir une réduction substantielle de la biomasse planctonique. Un paradigme qui a récemment été remis en question par des chercheurs de l’Université de Californie (États-Unis). En s’appuyant sur des données plus précises, le groupe anticipe au contraire une augmentation d’ici 2100. Des résultats publiés dans la revue Nature Geoscience le 27 janvier dernier.
Les premiers modèles de climat étaient très simples lorsqu’on les compare à ceux d’aujourd’hui. En effet, ils représentaient un monde essentiellement marqué par les échanges de chaleur et d’eau. Le noyau dur d’une certaine manière. Avec le temps, l’augmentation de la capacité de calcul a permis d’inclure de plus en plus de processus, de complexité. En somme, de construire une réplique toujours plus fidèle de la Terre.
Parmi les phénomènes complexes qui se sont ajoutés, on peut citer ceux qu’a amené la biologie. Le vivant répond aux changements du climat et rétroagit sur ce dernier. Il convient donc d’en tenir compte si l’on souhaite améliorer la qualité des modélisations. Par ailleurs, l’état des différents écosystèmes revête une importance en soi puisque nous en dépendons directement (pêche, agriculture, pollinisation, etc.).
La baisse de la biomasse planctonique questionnée
Toutefois, ces questions sont encore difficiles à résoudre à l’heure actuelle. Prenons l’exemple du phytoplancton. Ce dernier comprend l’ensemble des organismes végétaux se développant et vivant en suspension dans la couche superficielle de l’océan. De taille microscopique, on en compte plus de 20 000 espèces. Il revêt une importance écosystémique majeure, puisqu’il se situe à la base des chaînes alimentaires marines.

Jusqu’à présent, les résultats obtenus par les modèles projetaient une diminution notable avec le réchauffement global. En particulier dans le monde tropical. Une tendance due au renforcement de la stratification océanique. Dit autrement, le mélange entre l’eau chaude superficielle et celle plus froide en sub-surface diminue ce qui réduit l’apport en nutriments vers la surface. En conséquence, le plancton se retrouve affamé et sa biomasse s’écroule. Le mécanisme paraît assez trivial et semble en accord avec les observations.
Cependant, une équipe d’océanographes de l’Université de Californie a récemment rappelé que ce paradigme était ancré sur des bases discutables. En particulier, en pointant le fait que les mesures du phytoplancton reposent habituellement sur la quantité de chlorophylle en présence.

« Le problème est que la chlorophylle n’est pas tout ce qui se trouve dans une cellule. Aux basses latitudes, de nombreux planctons sont caractérisés par une très petite quantité. Il y a tellement de lumière solaire que le plancton n’a besoin que de quelques molécules de chlorophylle (…) pour grandir » détaille Adam Martiny, co-auteur de l’étude. « En réalité, nous avons jusqu’à présent très peu de données pour réellement démontrer s’il y a plus ou moins de biomasse dans les régions plus stratifiées. En conséquence, la base empirique pour moins de biomasse dans les régions plus chaudes n’est pas si solide ».
Climat et phytoplancton : des résultats plus engageants
Or, ces mesures servent à calibrer et valider les modèles, ce qui peut donc induire un biais notable. En outre, les outils numériques ne tiennent pas compte des nombreux phénotypes existants. Des raisons qui ont motivé les scientifiques à collecter plus de 13 000 échantillons d’eau de mer à travers le monde. Lesquels révèlent la diversité du plancton et sa biomasse en fonction de la température. Ces prélèvements ont pu alimenter un réseau de neurones artificiel afin d’anticiper comment ces variables devraient évoluer d’ici à 2100 avec un réchauffement marqué.

« Dans de nombreuses régions, il y aurait une augmentation de 10 % à 20 % de la biomasse du plancton, plutôt qu’une baisse » rapporte Adam Martiny. Dans leur étude, les auteurs expliquent que ces résultats sont attribuables à un meilleur recyclage de la matière organique dans la couche océanique superficielle et à une moindre demande. Un processus qui ne peut être représenté sans considérer les petites espèces de phytoplancton – le pico-phytoplancton qui représente 80 à 90 % de la biomasse planctonique dans les tropiques.
On notera que la région nord-atlantique subit une baisse généralisée, ce qui ne contredit donc pas nécessairement de récents résultats faisant état d’un déclin régional prononcé.
« Au moins pendant un certain temps, je pense que les capacités d’adaptation de ces diverses communautés de plancton les aideront à maintenir une biomasse élevée malgré les changements environnementaux » rapporte le co-auteur susmentionné. Une perspective rassurante sur l’avenir de cet écosystème majeur qui ne doit pas occulter les incertitudes importantes dont elle est encore tributaire. Aussi, on suivra attentivement les futurs travaux dédiés à cette thématique.
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