Des chercheurs créent accidentellement un poisson hybride « impossible »

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Crédits : Kaldy et al., Genes, 2020

Nous pourrions penser que plus de 180 millions d’années d’évolution sur des continents différents suffiraient à rendre deux espèces de poissons sexuellement incompatibles. Et pourtant.

Les esturgeons et les spatulaires sont parmi les poissons d’eau douce les plus gros de la planète. Ils sont également parmi les plus menacés. En cause : la perte de leur habitat, la surpêche et la pollution, qui ont décimé les populations au cours du siècle dernier.

Le spatulaire (Polyodon spathula), d’un côté, représente aujourd’hui la dernière espèce de la famille des Polyodontidae, depuis l’extinction dans les années 2000 de l’espèce chinoise Psephurus gladius, qui peuplait le fleuve Yangtzé. Vous le retrouverez dans le fleuve du Mississippi, qui traverse une vingtaine d’États américains.

D’un autre côté, les esturgeons sont « plus gravement menacés que tout autre groupe d’espèces », selon l’Union internationale pour la conservation de la nature.

C’est pourquoi le chercheur hongrois Attila Mozsár et son équipe ont cherché à élever ces deux poissons en captivité.

Des centaines d’hybrides

L’une de ces expériences visait à induire une gynogenèse, une forme de production asexuée qui nécessite la présence de spermatozoïdes – mais pas l’apport réel de leur ADN – chez l’esturgeon russe. Les scientifiques hongrois ont alors été témoins d’une expérience inattendue. En effet, contre toute attente, un transfert d’ADN s’est bel et bien opéré.

De cette union forcée sont alors nés des centaines de poissons hybrides qui, dans la nature, n’auraient probablement jamais vu le jour. Un mois plus tard, plus des deux tiers d’entre eux étaient encore en vie. Il en reste aujourd’hui une petite centaine.

Certains ressemblent à moitié à leur mère et à moitié à leur père, tandis que d’autres ressemblent beaucoup plus à des esturgeons qu’à des spatulaires, peut-on lire dans la revue Genes.

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L’image du haut montre un esturgeon russe typique. L’image du bas celle d’un spatulaire américain. Les deux images du milieu présentent des spécimens hybrides. Crédits : Kaldy et al., Genes, 2020

Différents, mais pas tant que ça

Les chercheurs ont évidement été très surpris. Ces deux poissons partagent, certes, un ancêtre commun, mais ce dernier nageait à l’époque des dinosaures, c’est-à-dire il y a 184 millions d’années. Depuis, deux lignées ont évolué indépendamment, chacune sur son continent. Sur le papier, il paraissait donc impossible que ces deux espèces, si divergentes, soient capables de s’associer pour former des hybrides.

Malgré tout, ces deux poissons présentent quelques similitudes remarquables. Les deux espèces sont en effet très anciennes, et ont peu changé tout au long de leur histoire. « Ces poissons « fossiles » ont des taux d’évolution extrêmement lents, donc ce qui peut nous sembler long ne l’est pas forcément pour eux », explique Salomon David, écologiste aquatique à la Nicholls State University en Louisiane.

« De nombreux aspects de leur anatomie et de leur physiologie sont également très similaires, ajoute Dennis Scarnecchia, de l’Université de l’Idaho. Les deux espèces ont une peau sans écailles, des intestins à valve spirale et des endosquelettes cartilagineux ».

Concernant ces nouveaux hybrides, les chercheurs ne comptent pas s’appuyer dessus pour lancer une nouvelle espèce. De toute manière, tous ou presque sont probablement stériles, comme les autres hybrides. Néanmoins, ils continueront d’étudier la façon dont ces poissons se reproduisent dans l’espoir de pouvoir sauver ces deux espèces de l’extinction.