Pendant des décennies, ils ont porté des touristes sur leur dos, effectué des numéros de cirque et transporté de lourdes charges sous un soleil de plomb. Aujourd’hui, le Bangladesh lance un projet sans précédent : réintroduire ses éléphants captifs dans la nature. Une initiative ambitieuse qui soulève autant d’espoirs que de questions chez les scientifiques.
Quand un géant d’Asie devient invisible
L’éléphant d’Asie régnait autrefois sur un empire végétal immense, s’étendant des forêts du sous-continent indien jusqu’à certaines régions de Chine et d’Asie occidentale. Cette époque appartient désormais au passé. Aujourd’hui, l’espèce survit dans des poches de territoire fragmentées, dispersées dans seulement une douzaine de pays comme l’Inde, le Sri Lanka, la Thaïlande ou l’Indonésie.
Le Bangladesh fait partie de ces nations où subsiste une population d’éléphants, modeste mais cruciale pour la biodiversité régionale. Un recensement de 2016 dénombrait environ 268 éléphants sauvages et 93 individus migrateurs traversant les frontières. Mais ces chiffres ne racontent qu’une partie de l’histoire. Le pays compte également au moins 96 éléphants enfermés dans des zoos et des cirques, sans parler d’un nombre indéterminé d’animaux non recensés, contraints à des travaux épuisants loin des regards officiels.
Un projet de réhabilitation aux multiples facettes
Face à ce constat alarmant, le ministère de l’Environnement, des Forêts et du Changement climatique a lancé le « Projet de conservation des éléphants ». Cette initiative ne se contente pas d’une approche unique : elle combine protection des populations sauvages et réhabilitation des animaux détenus en captivité.
Le cadre légal s’est déjà renforcé. En 2024, la Haute Cour du pays a interdit l’adoption d’éléphants sauvages, créant ainsi une barrière supplémentaire contre leur exploitation. Mais le gouvernement va plus loin en déployant un arsenal de mesures concrètes : recensement actualisé des populations, restauration des habitats dégradés, et développement de technologies pour réduire les affrontements entre humains et pachydermes.
Les communautés locales ne sont pas oubliées dans cette équation complexe. Des programmes de formation, des équipes de bénévoles et des campagnes destinées aux jeunes générations visent à transformer les habitants en gardiens actifs de ces géants menacés. Des équipes d’intervention rapide seront également déployées pour gérer les situations de crise lorsque les éléphants s’aventurent trop près des villages.

Des sanctuaires pour une nouvelle vie
L’objectif le plus ambitieux du projet reste la création de sanctuaires au cœur des zones protégées. Deux sites forestiers ont été présélectionnés : Rema-Kalenga dans la région de Moulvibazar, et Chunati située à Chittagong. Une équipe d’experts évalue actuellement lequel de ces deux écosystèmes offrira les meilleures conditions pour accueillir les éléphants libérés.
Jahir Uddin Akon, directeur du projet, explique que son équipe s’inspire des réussites observées au Sri Lanka et en Thaïlande, deux pays ayant déjà réintroduit des éléphants captifs dans leur environnement naturel. Ces expériences internationales servent de feuille de route, même si chaque contexte national présente ses propres défis.
Les obstacles d’une réintroduction
Car le chemin vers la liberté n’est pas sans embûches. Mohammed Mostafa Feeroz, professeur de zoologie à l’université Jahangirnagar, souligne deux problèmes majeurs. D’abord, les années passées en captivité ont érodé les instincts de survie de ces animaux. Un éléphant né en captivité ou capturé très jeune ne sait plus nécessairement identifier les sources de nourriture appropriées, éviter les prédateurs ou interagir correctement avec ses congénères sauvages.
Ensuite, leur contact prolongé avec les humains fait de ces éléphants des vecteurs potentiels de maladies. La transmission d’agents pathogènes entre populations captives et sauvages pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les groupes déjà fragilisés vivant en forêt. Cette dimension sanitaire nécessitera une surveillance vétérinaire rigoureuse pendant toute la phase de transition.
Un symbole de résilience
Malgré ces défis, le projet bangladais représente bien plus qu’une simple opération de conservation. Il symbolise la volonté d’un pays de restaurer un élément menacé de son patrimoine naturel et de réparer des décennies d’exploitation. Si l’initiative réussit, elle pourrait inspirer d’autres nations confrontées aux mêmes dilemmes et offrir à des centaines d’éléphants captifs une chance de retrouver la vie pour laquelle leur espèce a évolué pendant des millions d’années.
