En 2002, au cours de fouilles menées dans la basilique de la Vierge Marie à Székesfehérvár, en Hongrie, des archéologues ont mis au jour un crâne non identifié, soigneusement étiqueté I/10. Ce vestige, trouvé dans une aile de la basilique autrefois utilisée comme nécropole royale, est resté une énigme pendant plus de deux décennies. Mais aujourd’hui, grâce à une combinaison d’anthropologie médico-légale, d’analyse génétique et de reconstruction faciale, les chercheurs estiment que ces ossements pourraient bien être ceux de Matthias Corvin, roi de Hongrie et de Croatie entre 1458 et 1490 — un personnage mythique surnommé « Matthias le Juste ».
Le mystère du crâne I/10
Székesfehérvár fut longtemps le cœur religieux et politique de la Hongrie médiévale. C’est là que les rois étaient couronnés, et, plus symbolique encore, enterrés. La découverte d’un crâne dans cette basilique royale ne pouvait donc qu’éveiller les soupçons d’un lien avec une personnalité d’importance. Pourtant, en l’absence de tout artefact ou inscription permettant une identification directe, les scientifiques se sont contentés de l’archiver, en attendant mieux.
Dans un premier temps, certains ont supposé qu’il pourrait s’agir d’Albert de Habsbourg, un autre prétendant royal. Mais les avancées récentes en imagerie et en génétique ont relancé l’enquête.
Une ressemblance frappante
Tout a changé lorsque l’historienne Gábor Emese, du Centre de recherche Gyula László, a entrepris en 2024 une série de reconstructions graphiques des crânes découverts dans la basilique. C’est à ce moment-là que le crâne I/10 a attiré l’attention : ses proportions et traits reconstitués présentaient une ressemblance troublante avec ceux de János Corvinus, le fils illégitime mais reconnu du roi Matthias.
Pour approfondir cette piste, l’équipe a conçu un modèle 3D du crâne et en a tiré une reconstruction faciale scientifique complète, sans aucune indication sur l’identité supposée du sujet. Ces données ont ensuite été soumises à l’anthropologue médico-légal allemand Martin Trautmann, en aveugle. Celui-ci est parvenu à la même conclusion : le crâne I/10 et celui de János Corvinus semblent appartenir à des proches parents directs, au point d’évoquer des jumeaux — bien que l’on sache que János n’en avait pas.
Des gènes pour appuyer l’hypothèse
Les conclusions visuelles et morphologiques se sont appuyées sur une autre donnée cruciale : des analyses génétiques menées en 2021 sur des restes attribués à János Corvinus et à son fils Kristóf. Des marqueurs partagés permettent aujourd’hui d’émettre l’hypothèse très sérieuse que le crâne I/10 serait celui de Matthias Corvin lui-même.
Roi à quatorze ans, réformateur éclairé, défenseur de la culture renaissante, Matthias est encore aujourd’hui une figure légendaire dans plusieurs pays d’Europe de l’Est. Son règne fut marqué par une profonde modernisation administrative, fiscale et culturelle. Il fut l’un des premiers souverains d’Europe centrale à soutenir activement l’humanisme renaissant, fondant la Bibliotheca Corviniana, l’une des plus vastes bibliothèques d’Europe à l’époque.

Crédit : iStock
Statue du roi Matthias Corvin. Crédits : Rocter/istockUn roi entre légende et réalité
Bien que la confirmation ADN définitive soit toujours en attente, les éléments actuels convergent avec force vers l’identité royale du crâne. Si cette hypothèse se confirme, ce serait l’une des plus importantes découvertes archéologiques hongroises des dernières décennies. Non seulement elle permettrait de clore un chapitre vieux de 500 ans, mais elle raviverait également l’intérêt pour une figure historique qui a su mêler puissance politique et vision humaniste.
Et si l’ADN finit par confirmer ce que les scientifiques soupçonnent, alors le roi Matthias, longtemps perdu parmi les anonymes, retrouvera enfin sa place dans la mémoire collective — non seulement comme un souverain légendaire, mais aussi comme un roi dont on a retrouvé le visage.