Dans une nouvelle étude captivante, les chercheurs révèlent comment la baudroie a conquis la mystérieuse zone de minuit de l’océan il y a environ 55 millions d’années pendant une période de réchauffement climatique extrême. Ces poissons étranges ont en effet développé des adaptations uniques qui leur ont permis de prospérer dans les profondeurs marines, notamment en adoptant des stratégies de reproduction hors du commun.
Colonisation de la zone de minuit
Les baudroies, qui appartiennent à l’ordre des Lophiiformes, sont parmi les groupes de vertébrés les plus divers des profondeurs marines. Leur apparence est marquée par des leurres bioluminescents qui attirent leurs proies à portée de leurs redoutables mâchoires. Certaines espèces vivent dans la zone benthique, tandis que d’autres se trouvent dans la zone bathypélagique, également appelée zone de minuit, à des profondeurs allant 4 000 mètres sous la surface de l’océan. Mais depuis quand ces poissons évoluent-ils à ces profondeurs ?
Dans le cadre de récents travaux, des chercheurs ont déterminé que la baudroie du groupe Ceratioidea en particulier avait colonisé cette région pendant le maximum thermique Paléocène-Éocène, il y a environ 55 millions d’années.
Les chercheurs ont déterminé cela en étudiant les caractéristiques morphologiques de fossiles et en les comparant à celles des espèces actuelles. Ces examens ont permis de déceler des similitudes et des différences significatives. En observant ces traits morphologiques, les chercheurs peuvent alors déterminer les relations évolutives entre les différentes espèces de baudroies et estimer l’évolution de ces caractéristiques au fil du temps. Par exemple, des différences dans la structure des nageoires ou dans la taille des organes sensoriels pourraient indiquer des adaptations à des environnements spécifiques ou des modes de vie différents.
En utilisant des techniques de datation géologique, les scientifiques peuvent également déterminer l’âge approximatif des fossiles et les situer dans des périodes géologiques spécifiques. Cette combinaison de méthodes a permis aux scientifiques de reconstruire l’histoire évolutive des baudroies, y compris le moment où elles ont colonisé la zone de minuit.
Notez que cette époque avait été marquée par un réchauffement climatique extrême à l’échelle mondiale. Les températures océaniques avaient en effet atteint des niveaux exceptionnellement élevés, ce qui eut un impact majeur sur les écosystèmes marins.

Plusieurs mécanismes d’adaptation
Vivre dans la zone de minuit présente des défis uniques, notamment en ce qui concerne la recherche de partenaires pour la reproduction. Parmi les adaptations observées, les mâles auraient notamment développé des narines géantes qui leur permettent de localiser les phéromones des femelles dans l’obscurité.
Nous savons aussi que certains mâles fusionnent définitivement avec les femelles pendant l’accouplement, devenant ainsi des parasites sexuels. Cette fusion est le résultat de déficiences du système immunitaire des femelles. La perte de certaines fonctions immunitaires, qui normalement rejetteraient tout intrus, permet en effet à ces dernières d’accepter le mâle comme faisant partie de leur propre corps, facilitant ainsi le parasitisme sexuel.
Cette stratégie unique aurait été bénéfique pendant la période de bouleversement radical de cet écosystème. Dans un environnement marin dépourvu de relief comme la zone de minuit, les baudroies n’avaient en effet pas accès à des structures physiques sur lesquelles s’accrocher ou se cacher pendant la reproduction. Dans de tels environnements, trouver un partenaire et maintenir une relation de reproduction pouvait donc être difficile, car il n’y avait pas de sites de reproduction conventionnels.
La fusion permanente entre les mâles et les femelles, facilitée par des déficiences dans le système immunitaire des femelles, offrait alors un avantage dans cet environnement spécifique. D’une part, cela assurait une stabilité, ce qui garantissait une disponibilité constante du partenaire pour la reproduction. D’autre part, la fusion permanente entre les mâles et les femelles pouvait réduire la compétition pour les partenaires reproducteurs. Une fois fusionnés, les mâles n’avaient en effet plus besoin de rivaliser pour attirer les femelles, ce qui pouvait être avantageux dans un habitat où les opportunités de reproduction sont limitées.
Ces adaptations uniques des baudroies dans les profondeurs marines, qui ont depuis été conservées, soulignent ainsi l’importance de l’évolution dans des environnements extrêmes et offrent un aperçu précieux de l’adaptation des organismes à des conditions environnementales changeantes.
