Comment les dinosaures sont devenus les rois des herbivores (tout est dans les dents)

Yamatosaurus (premier plan) et de Kamuysaurus (arrière plan) hadrosauridés dinosaures à bec de canard dinosaures ornithopodes
Crédits : Masato Hattori/Wikimedia Commons

Les dents des dinosaures sont essentielles pour reconstruire l’histoire de ces animaux parfois colossaux et leur rôle dans leur environnement préhistorique. Taille, forme, usure… Leur étude en révèle en effet beaucoup sur leur espèce, leur mode de vie, leur évolution et leur alimentation (carnivore ou herbivore), ce qui aide notamment à mieux comprendre leurs relations évolutives et à reconstituer les écosystèmes anciens. Et si les chercheurs comme le grand public se passionnent pour les dents acérées et puissantes des prédateurs carnivores, celles des herbivores peuvent elles aussi se révéler particulièrement fascinantes comme le montre une étude publiée le 26 août 2024 dans la revue Nature Communications. D’après ces recherches, les dinosaures herbivores, notamment les hadrosaures (aussi appelés dinosaures à bec de canard), étaient de véritables machines à dévorer les plantes… et cet appétit vorace leur a coûté de nombreuses dents.

L’herbivorie, une alimentation plus difficile à tenir qu’il n’y paraît

Bien que l’herbivorie soit courante chez les animaux, il est étonnamment complexe de manger des plantes. Contrairement à la viande qui est facilement décomposée dans l’intestin, les plantes sont en effet généralement constituées de fibres dures et de glucides complexes difficiles à digérer. Les dents sont alors en première ligne pour ouvrir les plantes et les découper en petits morceaux pour que les bactéries intestinales puissent ensuite les décomposer plus efficacement. Cependant, comme l’explique le professeur Paul Barrett, le co-auteur de cette étude dirigée par le Dr Attila Ősi de l’Université Eötvös Loránd en Hongrie, cela a un coût pour les dents.

« Tout au long de la vie d’un herbivore, ses dents s’usent progressivement. Cela impose une limite supérieure à la durée de vie de certains mammifères, comme les éléphants ou les vaches. Une fois leurs dents usées, l’animal ne peut plus se nourrir, et il meurt. Ce n’est pas un problème pour les reptiles. Ils sont capables de produire continuellement de nouvelles dents […]. En conséquence, les dents de dinosaures sont des fossiles courants, ce qui en fait un moyen précieux d’étudier l’évolution de ces animaux. »

Partant de ces observations, l’équipe a voulu étudier les dents et les mâchoires des ornithopodes qui sont devenus certains des herbivores les plus prospères de toute l’histoire de notre planète. En examinant des crânes bien conservés, ils ont pu suivre comment les crânes des dinosaures se sont développés pour s’adapter à la consommation de plantes.

crâne iguanodon dinosaure herbivore dinosaures ornithopodes
Crédits : praja38/iStock

Les dinosaures herbivores usaient leurs dents à toute vitesse

Après leur première apparition au Jurassique moyen, les ornithopodes (Iguanodon, Hypsilophodon…) se sont fortement imposés au Crétacé où ils sont devenus les herbivores dominants dans de grandes parties du monde avec un point culminant à la fin du Crétacé avec les hadrosaures (aussi appelés dinosaures à bec de canard ou hadrosauridés). Comme le montre cette nouvelle étude, ces grandes machines à manger des plantes spécialisées n’ont rien à envier aux vaches et aux moutons modernes et leur domination n’est pas due au hasard.

« Les dents et les mâchoires des ornithopodes ont changé radicalement au cours de leur évolution. Les premiers membres du groupe, comme l’Iguanodon, prenaient plus de 200 jours pour former leurs dents et au moins autant de temps pour les user en mâchant. Néanmoins, à la fin du Crétacé, les hadrosaures usaient leurs dents en à peine 50 jours. Nous pensons que cela est dû au fait que les ornithopodes plus tardifs devaient se nourrir de plantes dures qui érodaient rapidement leurs dents. », explique le Dr Attila Ősi.

Pour devenir des mangeurs de plantes prospères et le rester, ces recherches montrent que ces dinosaures ont pu bénéficier d’un nombre de dents de remplacement toujours plus grand au fil du temps, pouvant grimper jusqu’à des milliers de dents usées, puis remplacées. Toute leur anatomie s’est par ailleurs modifiée au fil de leur évolution. La complexification de la structure et du placement de leur mâchoire comme la forme des dents chez les dinosaures herbivores tardifs sont autant d’adaptations qui les ont ainsi rendus plus efficaces pour le broyage des plantes.

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Des dents d’hadrosaure. Crédits : Xing et coll., Plos One, 2017

Un nouveau régime alimentaire à l’œuvre

Ces adaptations des dents et des mâchoires pointent vers une modification du régime alimentaire et de l’environnement de ces créatures au cours du Crétacé inférieur. Il est toutefois difficile pour les chercheurs d’identifier avec certitude les changements qui en sont la cause.

Pour essayer d’en savoir plus, l’équipe a donc examiné des zones usées des dents de dinosaures à la recherche de signes de changements microscopiques. « Avant le Crétacé inférieur, les dents des ornithopodes avaient beaucoup de grandes fosses. Cela suggère qu’ils mangeaient une grande quantité de graines de plantes, ainsi que probablement beaucoup de poussière et de terre en se nourrissant près du sol. Les formes plus récentes ont moins de fosses, mais beaucoup plus de rayures à la place. Cela suggère qu’ils mangeaient maintenant des plantes plus dures, ou se nourrissaient d’une manière différente. », décrit le Dr Attila.

Si au début de leur histoire évolutive, le menu des ornithopodes pouvait inclure des fruits et des plantes plus tendres, plus riches en nutriments et qui n’avaient donc pas besoin d’être consommés en grande quantité pour constituer un repas, les ornithopodes plus récents devaient pour leur part passer des heures à décomposer des plantes pauvres en nutriments, un peu comme le font aujourd’hui les bovins et les moutons. Il est donc devenu une question de survie d’avoir beaucoup de dents remplaçables, car sans elles, ils auraient été condamnés à mourir de faim.

hadrosaures dinosaure
Illustration d’un hadrosaure. Crédits : Warpaintcobra/istock

Un changement causé par… les fleurs ?

L’étude n’exclut pas la possibilité que certaines plantes aient pu devenir plus courantes… et notamment les fleurs qui ont connu un essor tardif. Toutefois, les chercheurs préfèrent rester prudents sur cette question par manque de preuves. « Bien qu’il soit suspect que les plantes à fleurs commencent à se diversifier à cette époque, elles étaient encore assez rares. En fait, jusqu’à la fin du Crétacé, les prêles, les fougères et les conifères auraient été beaucoup plus courants pour les dinosaures qui cherchaient quelque chose à manger », explique le Dr Paul. « Comme il est très difficile de démêler les archives fossiles des plantes et des dinosaures, il est peu probable que nous ayons un jour suffisamment de preuves détaillées pour prouver qu’il existe un lien, même si c’est une idée très intéressante. »

Pour avoir une meilleure vision d’ensemble, l’équipe espère à présent élargir progressivement ses recherches à d’autres dinosaures herbivores comme les ankylosaures ou les dinosaures à cornes. Cela pourrait ainsi leur permettre d’explorer les raisons pour lesquelles ces reptiles ont eu autant de succès, mais aussi de découvrir comment l’évolution a façonné le régime alimentaire des différents groupes. « Nous aimerions pouvoir échantillonner d’autres dinosaures pour voir si la tendance à l’augmentation de la taille du corps, du nombre de dents et du changement de l’usure des dents que nous avons trouvée chez les ornithopodes est plus répandue. Si nous pouvons découvrir quels changements les herbivores subissaient à l’époque, cela nous donnera de bien meilleures chances de comprendre la place de ces dinosaures dans les écosystèmes de l’ère mésozoïque », conclut le Dr Attila.

Pour consulter les détails de l’étude, cliquez ici.