Les défenses de ce mastodonte révèlent une vie de combats et d’itinérance

Crédits : Wikimedia Commons / Charles R. Knight

En étudiant les signatures chimiques des défenses fossilisées d’un mastodonte nommé Fred, des paléontologues ont pu reconstituer les mouvements de migration de cet animal éteint qui ressemblait à un éléphant. Nous savons également que ce mâle itinérant est mort au cours d’une bataille sanglante avec un rival pendant la saison des amours il y a environ 13 000 ans. Les détails de l’étude sont publiés dans les Actes de l’Académie nationale des sciences.

Les mastodontes sont un groupe de proboscidiens avec une trompe ayant vécu au Tertiaire et aujourd’hui éteints. En Amérique du Nord, ces animaux ont disparu il y a environ 9 000 ans, à la fin de la dernière période glaciaire. Dans le cadre d’une étude, des chercheurs de l’université de Cincinnati ont analysé les défenses de l’un de ces mastodontes nord-américains. Nommé Fred, ses restes ont été découverts dans une ferme familiale en 1998. Ils sont depuis exposés au Indiana State Museum.

Un vrai travail de détective

Comme celles des éléphants modernes, les défenses de ces grands animaux enregistraient toute l’histoire de leur vie. Leur analyse permet donc aux scientifiques de glaner toutes sortes d’informations sur des comportements bien spécifiques, notamment leurs déplacements.

Pour ces travaux, le paléontologue Joshua Miller et son équipe se sont concentrés sur les isotopes du strontium et d’oxygène contenus dans les défenses de Fred. Les isotopes du strontium s’infiltrent des roches dans le sol et l’eau environnants. Les plantes absorbent alors ces nutriments avant d’être consommées par les animaux. L’analyse de ces données a été combinée avec celles d’une cartographie de la façon dont ces isotopes du strontium changeaient sur le terrain à cette époque, il y a environ 13 000 ans.

Les isotopes de l’oxygène ont quant à eux aidé à découvrir les saisons au cours desquelles Fred a migré. Chaque fois qu’il pleuvait, des isotopes atmosphériques enregistrant la saison étaient incorporés dans les plans d’eau locaux, avant d’être ingérés par l’animal lorsqu’il s’abreuvait. Au moyen d’une modélisation statistique complexe, l’équipe a ensuite pu déterminer ses mouvements au cours de sa vie.

mastodonte fred
La moitié gauche de la défense droite du mastodonte. Les nombres indiquent où des couches annuelles spécifiques sont exposées sur la surface de la défense. Crédits : Jeremy Marble, University of Michigan News.

Tombé au combat

Toutes ces analyses nous livrent un trésor d’informations. Nous savons notamment que ce mastodonte est resté relativement sédentaire au cours de ses premières années de vie. Au cours de son adolescence, les chercheurs ont cependant isolé des preuves de stress nutritionnel. Cela n’est pas vraiment surprenant. En effet, ce même type de stress est également observé avec les éléphants mâles modernes lorsqu’ils quittent leurs troupeaux matriarcaux et commencent à se débrouiller seuls.

Puis, entre sa 29e à sa 32e année, Fred a commencé à se déplacer sur de plus grandes distances. L’analyse des défenses a également révélé des signes de blessures à répétition. Malgré tout, il revenait chaque année au même endroit, dans le nord-est de l’Indiana, une zone qu’il n’avait pourtant jamais explorée pendant son adolescence.

C’est là-bas, à la fin du printemps et au début de l’été, que l’animal subissait la plupart de ses blessures, suggérant qu’il pouvait s’agir d’un terrain d’accouplement. L’équipe soupçonne que le mastodonte traversait le musth, une période d’agression associée à la reproduction observée chez les éléphants mâles modernes. Durant cette période, les combats avec d’autres mâles sont fréquents. Finalement, Fred aurait perdu la vie lors de l’un de ses combats sur ce même terrain d’accouplement.

Cette étude nous en apprend donc énormément sur la vie de cet animal en particulier, mais soulève également de nouvelles questions. Ce schéma de migration et les blessures associées sont-ils représentatifs de tous les mastodontes américains masculins ? En quoi les schémas de migration des femelles mastodontes différaient-ils ? Y avait-il des lieux de reproduction séparés pour les différents proboscidiens qui coexistaient à cette époque ? Toutes ces interrogations feront l’objet de travaux futurs.