Depuis le dix-neuvième siècle, les manuels d’anatomie décrivent trois types de cartilage bien connus : le cartilage hyalin, élastique et fibro-élastique. Toutefois, une découverte pourrait bousculer ces certitudes. Des chercheurs ont récemment mis en lumière un quatrième type de cartilage déjà observé par le passé, mais tombé dans l’oubli. Ce tissu, appelé lipocartilage, intrigue par sa ressemblance avec du papier bulle et ses caractéristiques uniques. Que savons-nous sur cette redécouverte scientifique qui promet de révolutionner nos connaissances en anatomie ?
Qu’est-ce que le lipocartilage ?
Le lipocartilage se distingue des trois types de cartilage classiquement décrits par sa composition et son apparence. Alors que les autres cartilages sont constitués de cellules enchâssées dans une matrice dense de fibres collagéniques et élastiques, le lipocartilage présente une structure bien différente. Il est composé de cellules adipeuses en forme de ballon remplies de graisse et entourées d’une matrice très fine. Ces cellules, appelées lipochondrocytes, peuvent s’organiser en groupes rappelant des briques empilées.
Cette architecture confère au tissu une élasticité remarquable tout en lui permettant de résister à la déformation et à la déchirure. Le lipocartilage se trouve dans des structures qui n’ont pas besoin de supporter de poids, comme l’oreille externe (dont l’origine pourrait vous surprendre), le nez et certaines parties de la gorge, notamment l’épiglotte et le larynx. Ces zones requièrent une grande souplesse et le lipocartilage semble parfaitement adapté à ces fonctions.
L’équipe a également étendu ses recherches pour comprendre à quel point le lipocartilage est répandu dans le règne animal. En examinant des spécimens de musée, ils ont découvert ce tissu chez plusieurs mammifères, comme la souris épineuse du Caire, l’écureuil volant et la chauve-souris à longue langue de Pallas. En revanche, ils n’ont trouvé aucune trace de lipocartilage chez les non-mammifères tels que les grenouilles, les oiseaux ou les alligators.
Une redécouverte oubliée… deux fois
Bien que le lipocartilage fasse aujourd’hui sensation, il ne s’agit pas d’une véritable nouveauté. La première mention de ce tissu remonte aux années 1850 lorsque l’histologiste Franz von Leydig observa au microscope un cartilage unique dans les oreilles de rats. Leydig nota que ce tissu à première vue semblable à de la graisse possédait également des caractéristiques propres au cartilage. Cependant, ses travaux furent rapidement oubliés.
Dans les années 1960, des scientifiques firent à nouveau mention de tissus similaires dans les oreilles de rongeurs. En 1976, deux chercheurs proposèrent même le terme lipochondrocyte pour désigner les cellules adipeuses du lipocartilage. Malgré cela, l’intérêt pour cette structure s’étiola une nouvelle fois. Ce n’est qu’avec les travaux récents de Maksim Plikus et de son équipe à l’Université de Californie à Irvine que ce tissu refait surface.
« C’était une découverte fortuite », explique Plikus. Alors qu’ils étudiaient la peau des oreilles de souris, les chercheurs sont tombés sur ces cellules remplies de graisse qu’ils ont d’abord comparées à du papier bulle. Poussés par leur curiosité, ils ont exploré plus en profondeur ce tissu et révélé son architecture unique et ses caractéristiques génétiques.

Les propriétés uniques du lipocartilage
L’étude récente, publiée dans la revue Science, met en évidence plusieurs particularités du lipocartilage. Contrairement à la graisse classique, les cellules adipeuses du lipocartilage ne grossissent ni ne rétrécissent en fonction de l’apport calorique. Cette stabilité est due à l’absence d’enzymes capables de décomposer les graisses et de transporteurs qui acheminent les lipides alimentaires vers ces cellules. En conséquence, ce tissu conserve toujours ses propriétés élastiques et spongieuses, quelles que soient les variations de régime alimentaire.
Cette stabilité pourrait offrir un avantage évolutif, en particulier dans l’oreille externe. Les ondes sonores se propagent très efficacement à travers la graisse et le maintien d’une structure stable pourrait améliorer la capacité à recueillir et focaliser les ondes acoustiques. Ainsi, le lipocartilage pourrait jouer un rôle crucial dans l’audition des mammifères.
Pourquoi cette découverte est-elle importante ?
La redécouverte du lipocartilage a des implications majeures. Elle justifie une mise à jour des manuels d’anatomie et d’histologie, mais pourrait également ouvrir de nouvelles perspectives en médecine et en biologie évolutive. Les chercheurs espèrent explorer sa capacité à se régénérer après une blessure, ce qui pourrait avoir des applications dans la médecine régénérative. Ils souhaitent également découvrir si ce tissu contient des sous-types de cellules et comprendre comment ses cellules gèrent une teneur en graisse élevée potentiellement toxique pour d’autres types cellulaires.
« Ces découvertes sur un nouveau type de cellule et de tissu sont fondamentales et constituent un véritable changement de paradigme », conclut Maksim Plikus. En révélant les secrets du lipocartilage, les scientifiques ouvrent une nouvelle page de la biologie et rappellent que même dans des structures à première vue banales, des mystères fascinants attendent encore d’être découverts.