Des chercheurs de l’Institut de Technologie du New Jersey et de l’Université d’état du Colorado ont rapporté la découverte de la plus ancienne fourmi légionnaire jamais enregistrée. Elle a été conservée dans de l’ambre de la Baltique datant de l’Éocène (il y a environ 35 millions d’années).
Contrairement aux autres lignées de fourmis, les fourmis légionnaires ont des reines sans ailes capables de pondre des millions d’œufs par jour. Leurs colonies nomades occupent temporairement des nids entre deux raids au cours desquels ces fourmis peuvent s’attaquer à plusieurs des milliers de proies par jour de manière coordonnée.
La combinaison distincte de ces comportements et traits (la prédation coordonnée vorace, la vie nomade et les reines sans ailes hautement spécialisées) est si inhabituelle dans le monde des fourmis qu’elle mérite son propre nom : le syndrome de la fourmi légionnaire.
Malgré des preuves moléculaires que ce syndrome a évolué deux fois au milieu du Cénozoïque, une fois dans les néotropiques et une fois dans les afrotropiques, les fourmis légionnaires fossiles sont très rares. Jusqu’à présent, la seule espèce connue, vieille d’environ seize millions d’années, nous venait des Caraïbes, d’où l’intérêt de cette nouvelle étude.
Un spécimen européen vieux de 35 millions d’années
Dans la revue Biology Letters, une équipe de chercheurs rapporte en effet la découverte du plus ancien fossile de fourmi légionnaire connu. C’est également le premier de l’hémisphère oriental (qui comprend l’Europe, l’Afrique et l’Asie). Le spécimen, nommé Dissimulodorylus perseus d’après le mythique héros grec Persée, ne mesurait que trois millimètres environ à son époque.
Le fossile reposait dans un tiroir du Musée de Zoologie comparée de l’Université de Harvard depuis près d’un siècle. Sans l’oeil de la doctorante Christine Sosiak, l’Institut de Technologie du New Jersey, le spécimen serait toujours passé inaperçu, car mal étiqueté.
« Cet ambre aurait été excavé vers ou avant les années 1930. Ainsi, apprendre maintenant qu’il contenait une fourmi légionnaire rare est assez surprenant, d’autant plus que celle-ci parcourait l’Europe« , a déclaré Phillip Barden, auteur senior du papier. « Avec ce fossile désormais sorti de l’obscurité, nous avons acquis un hublot paléontologique rare dans l’histoire de ces prédateurs uniques.«
Probablement une ouvrière
On dénombre aujourd’hui environ 270 espèces de fourmis légionnaires dans l’hémisphère oriental et environ 150 en Amérique du Nord et du Sud. Sur la base d’une analyse par rayons X et CT-scan du fossile, les chercheurs ont pu déterminer qu’il s’agissait d’un parent proche des espèces aveugles actuellement trouvées en Afrique et en Asie du Sud, appelées Dorylus. Rappelons qu’à l’époque où le fossile s’est formé, l’Europe était plus chaude et plus humide qu’elle ne l’est aujourd’hui.
L’analyse a également révélé que cette fourmi légionnaire possédait une glande antibiotique élargie. On retrouve généralement cette caractéristique chez d’autres fourmis évoluant principalement sous terre. Cela suggère que cette lignée était aussi adaptée à la vie souterraine. En outre, plusieurs traits anatomiques, y compris ses mandibules pointues et son manque d’yeux, suggèrent que ce spécimen en particulier était une ouvrière de sa colonie, probablement impliquée dans le transport des larves et dans les raids visant à se nourrir.
Ces fourmis se ruaient sur des essaims, chassant d’autres insectes et même des vertébrés. Étant donné qu’elles étaient aveugles, elles utilisaient la communication chimique pour se coordonner. Il est donc possible que celle-ci se soit éloignée de ses camarades avant de se retrouver coincée dans la résine d’un arbre collante. Cette résine aurait fini par se solidifier, enfermant la pauvre fourmi pendant plus de 35 millions d’années.