Découverte d’un « monde perdu » vieux de plus d’un milliard d’années

graisses fossilisées cholestérol
Nous ne savons pas à quoi ressemblaient nos premiers ancêtres, mais il s'agit de l'imagination d'un artiste d'un assemblage de « protostérol biote » habitant un tapis bactérien au fond de l'océan. Crédits : MidJourney

Les signatures de biomarqueurs qui remontent à plus d’un milliard d’années ont révélé toute une communauté d’organismes jusque-là inconnus qui façonnaient jadis les écosystèmes de la Terre. Les détails de l’étude sont publiés dans la revue Nature.

De nos jours, le cholestérol a mauvaise réputation, mais rappelons que cette molécule lipidique est présente dans toutes les cellules animales et qu’elle y joue un rôle essentiel. Ces graisses aident notamment à maintenir la fluidité et la flexibilité de la membrane cellulaire. Elles régulent aussi l’organisation et l’assemblage des protéines membranaires, ce qui est crucial pour de nombreuses fonctions cellulaires. Le cholestérol participe également au transport des lipides dans l’organisme. Enfin, il s’agit de la principale molécule à partir de laquelle d’autres molécules bioactives sont synthétisées. Ces dernières jouent un rôle important dans la régulation de divers processus physiologiques.

Notez que le cholestérol appartient à une famille de molécules similaires appelées stérols. D’autres eucaryotes produisent aussi leurs propres stérols, dont le stigmastérol chez les plantes et l’ergostérol chez les champignons. Les géochimistes et paléontologues se tournent donc parfois vers les traces fossilisées de ces stérols pour sonder la présence d’eucaryotes dans les écosystèmes anciens. Cependant, au-delà de 800 millions d’années, les restes de ces molécules semblaient manquer. Pourtant, certaines preuves fossiles et génétiques suggèrent que les eucaryotes avaient évolué bien avant, il y a 1,6 milliard d’années. Alors, comment expliquer ce manque de données ?

À la recherche des protostéroïdes

Il y a plusieurs décennies, le biochimiste et lauréat du prix Nobel Konrad Bloch avait proposé une explication potentielle. Selon lui, à la place des stérols d’aujourd’hui, les formes de vie antérieures auraient pu utiliser des produits chimiques intermédiaires dans leurs cellules. Il a nommé ces composés protostéroïdes. Cependant, la technologie disponible à l’époque ne permettait pas de prouver leur existence. Depuis, les techniques ont évolué. Ainsi, dans le cadre d’une nouvelle étude, des géochimistes de l’Université nationale australienne sont allés à la recherche des restes fossilisés de certains de ces protostéroïdes.

Dans un premier temps, les chercheurs ont synthétisé des protostéroïdes aux noms barbares appelés lanostérol, cycloarténol et 24-méthylène cycloarténol en laboratoire. Ils ont ensuite imité le processus de fossilisation en les exposant à la chaleur et à la pression. Ce faisant, ils ont alors identifié des dizaines de dérivés de ces molécules susceptibles de se distinguer des autres étapes de formation du cholestérol dans les archives géologiques.

Les chercheurs ont ensuite recherché ces composés dans des roches anciennes, ce qui nous ramène à cette incroyable découverte faite dans le Territoire du Nord de l’Australie. Dans les sédiments formés il y a 1,64 milliard d’années, ils ont en effet identifié des produits chimiques correspondant aux dérivés du lanostérol et du cycloarténol. Les chercheurs ont également trouvé des dérivés qui correspondaient au modèle produit par le 24-méthylène cycloarténol dans des roches vieilles de 1,3 milliard d’années.

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Le géochimiste Jochen Brocks inspecte des sédiments vieux de 1,64 milliard d’années à Barney Creek, dans le nord de l’Australie. Crédits : Université Nationale australienne

Une transition il y a 800 millions d’années

Dans des roches plus jeunes, formées il y a entre 800 et 720 millions d’années, l’équipe aurait cette fois identifié un « mélange d’ancien et de nouveau ». Autrement dit, il y avait des quantités importantes de protostéroïdes fossilisés, suggérant que les organismes qui en dépendaient n’avaient pas encore disparu, mais aussi des traces de cholestérol et de stérols modernes. La proportion de protostéroïdes aurait finalement diminué au fil du temps au profit des stérols modernes dans les roches de moins de 600 millions d’années.

Pour les chercheurs, il y aurait une corrélation entre cette évolution des molécules de graisse et la teneur en oxygène de l’époque qui était beaucoup plus faible qu’aujourd’hui. Nous savons en effet que les étapes finales de la synthèse du cholestérol sont coûteuses pour les cellules. Elles nécessitent donc beaucoup d’énergie et d’oxygène. Certains eucaryotes auraient alors commencé à modifier ces composés pour fabriquer de nouveaux stérols alors que cet élément devenait plus abondant il y a environ 800 millions d’années, ce qui aurait donné à leurs cellules un avantage évolutif. Par la suite, les organismes qui dépendaient des protostérols ont disparu.

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Illustration psychédélique de ce à quoi aurait pu ressembler la vie au début de la production de protostéroïdes.
Crédits : MidJourney, par TA 2023

Bien que nous ne sachions pas à quoi ces fameux organismes auraient pu ressembler, nous savons cependant qu’ils différaient de la vie eucaryote complexe telle que nous la connaissons, comme les animaux, les plantes et les algues dans leur structure cellulaire et leur métabolisme probable. Nous savons aussi qu’ils étaient considérablement plus complexes que les bactéries.

Essayer d’étudier ces mondes anciens représentera un énorme défi pour les scientifiques. Néanmoins, des découvertes comme celle-ci nous rapprochent de la traçabilité de nos racines.