Les restes alimentaires sur les sites où évoluaient des espèces anciennes peuvent en dire long sur leur mode de vie. Dans le cas particulier de Neandertal, de telles informations sont cruciales pour mieux appréhender la manière dont il a su s’adapter pour s’épanouir pleinement pendant des centaines de milliers d’années à travers différents environnements. Toutefois, s’il existe dans les registres fossiles des preuves que ces chasseurs hors pair se sont heurtés à de grands animaux sans sourciller (lions des cavernes inclus), les traces archéologiques attestant de la manière dont les néandertaliens cuisinaient les proies plus petites telles que les oiseaux manquent fortement et peuvent être difficiles à identifier.
Une équipe de trois chercheuses espagnoles a donc décidé de mener une expérience étonnante en recréant les repas de nos ancêtres afin notamment de pouvoir reconnaître plus facilement les os cuisinés par cette espèce éteinte du genre Homo et de mieux comprendre comment ils cuisinaient. De la découpe des carcasses à la cuisson avec les outils de l’époque, Mariana Nabais et ses collègues du Catalan Institute of Human Paleoecology and Social Evolution (IPHES) de Tarragona (Espagne) livrent un aperçu fascinant des compétences de ces humains préhistoriques dans leur étude publiée le 24 juillet dans la revue Frontiers in Environmental Archaeology.
Un objectif : cuisiner comme Neandertal
Le point de départ de ces recherches furent Figueira Brava et Oliveira, deux sites du Paléolithique moyen vieux de 90 000 ans découverts au Portugal. Les experts y avaient en effet découvert des os de volatiles portant des marques de coupe et de brûlure. Toutefois, personne ne pouvait affirmer clairement que Néandertal en était responsable sans mener des recherches plus approfondies. En effet, « cela peut être compliqué de déterminer si de telles marques résultent d’activités humaines, de processus naturels ou même d’autres animaux », explique la Dre Mariana Nabais, la principale auteure de ces recherches. Néanmoins, le savoir est important, car comme le dévoile l’étude, « les oiseaux offrent une ressource alimentaire complémentaire qui a pu jouer un rôle essentiel dans l’adaptation et la survie des Néandertaliens »
Pour s’assurer de l’origine des traces, les chercheuses décidèrent de s’improviser cuisiniers et de s’inspirer des preuves archéologiques ainsi que de données ethnographiques trouvées jusqu’à aujourd’hui sur la manière dont Homo neanderthalensis cuisinait et les outils utilisés, à savoir du silex très coupant utilisé en guise de couteau, ici préparé spécialement pour l’occasion par des étudiants en technologie lithique. Ils ont réalisé une série d’expériences pratiques sur cinq oiseaux décédés de mort naturelle proches de ceux à l’époque de Neandertal : deux corneilles noires (Corvus corone), deux tourterelles turques (Streptopelia decaocto) et un pigeon ramier (Columba palumbus).
Mieux comprendre comment faisait Neandertal
Après avoir manuellement déplumé les oiseaux, ils ont utilisé le silex pour découper deux oiseaux avant la cuisson au charbon et trois après, ce qui leur a déjà permis de découvrir qu’il était plus facile de détailler les carcasses après la cuisson. Les os ont ensuite été précieusement conservés pour garder une trace des marques, brisures et brûlures présentes dessus à titre de référence par la suite. « Faire rôtir les oiseaux sur le charbon a nécessité une température constante et un contrôle minutieux du temps de cuisson pour éviter de brûler la viande. Peut-être était-ce parce que nous avions retiré les plumes avant la cuisson, le rôtissage était plus rapide que nous l’avions prévu. En fait, nous avons passé plus de temps à préparer le charbon à cuire, ce qui a pris moins de dix minutes. »
Les Néandertaliens maîtrisaient leur sujet
En se mettant dans la peau de nos ancêtres, l’équipe en a beaucoup appris sur la maîtrise extraordinaire de Néandertal. « Utiliser du silex pour la découpe a demandé beaucoup de précision et d’effort, ce que nous n’avions pas totalement bien estimé avant cette expérience », s’étonne la Dre Nabais. « Les fragments étaient plus tranchants que nous le pensions, ce qui a nécessité une manipulation précautionneuse afin de réaliser une coupe précise sans blesser nos propres doigts. Ces expériences pratiques ont ainsi mis en exergue les défis pratiques que posaient la préparation et la cuisson des aliments pour Néandertal, permettant ainsi de créer une connexion tangible avec sa vie quotidienne et ses stratégies de survie. »
Surtout, en plus de mettre en avant les aptitudes manuelles de notre ancien parent, ces recherches dévoilent son intelligence trop souvent sous-estimée. « Cette étude souligne les capacités cognitives des Hommes de Néandertal, démontrant leur capacité à attraper et préparer de petites proies rapides. Cela remet ainsi en question la notion traditionnelle selon laquelle ils n’étaient pas capables de tâches aussi complexes. » Le fait de s’attaquer à de telles proies est en effet un bon indicateur d’un travail de planification recherché pour capturer des proies en utilisant des pièges.
Peu de traces des restes à attendre de l’époque de Neandertal
Après cette expérience, les chercheuses ont pu nettoyer et faire sécher les os, ce qui a permis d’analyser les traces sur leur surface au microscope. Ils ont également pu observer les traces d’usure sur le silex. En effet, malgré l’usage accru des mains pendant le processus, les oiseaux crus ont nécessité l’intervention du silex qui montrait alors des traces en demi-lune à son extrémité. Et si les coupes réalisées pour retirer la viande des oiseaux crus n’ont laissé aucune trace sur les os, les coupes au niveau des tendons ressemblent fortement à celles découvertes sur les oiseaux trouvés sur les sites préhistoriques.
En comparaison, les os des oiseaux rôtis avant la découpe étaient plus cassants. D’ailleurs, certains étaient tellement fragiles que les scientifiques n’ont pas pu les utiliser. Tous ou presque présentaient des traces de brûlures. Par ailleurs, des taches noires à l’intérieur de certains d’entre eux laissent suggérer que la cavité intérieure avait aussi brûlé.
Ainsi, ces recherches auront offert un éventail d’observations claires qui montrent à quel point les processus utilisés lors de la préparation et de la cuisson laissent des marques visibles, ce qui pourrait éclairer les prochaines fouilles, même si elles ont aussi montré que la cuisson rend les os très fragiles, ce qui peut complexifier la découverte de restes par les archéologues.
Les chercheuses estiment toutefois que ces éclairages ne sont qu’un début pour mieux comprendre le régime alimentaire de Neandertal et que d’autres travaux incluant plus de petites proies ainsi que d’autres utilisations possibles des oiseaux à l’époque (pour les plumes et les serres par exemple) seront nécessaires à l’avenir. Et pour ceux qui se poseraient la question, l’équipe n’a pas consommé la viande des oiseaux, par peur des potentielles maladies même s’ils décrivent le pigeon comme « plutôt tentant ».