La créativité partagerait-elle des racines génétiques communes avec la « folie » ?

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Les conclusions d’une étude scientifique réalisée auprès d’un important échantillon affirment que les personnes créatives auraient un risque génétique significativement plus important de développer des troubles mentaux. Pour autant, ces résultats accréditant l’idée que la créativité et les psychoses pourraient avoir des racines génétiques communes est loin de faire l’unanimité au sein de la communauté scientifique. Explications.

Aristote disait qu’il n’y avait « point de génie sans un grain de folie ». Et, si l’on en croit les résultats d’une récente étude publiée dans la revue Nature Neurosciences, il semblerait que le philosophe avait bel et bien raison. En effet, des chercheurs islandais prétendent avoir découvert la preuve que la créativité serait étroitement liée à certaines pathologies mentales appartenant à la classe des psychoses (schizophrénie et troubles bipolaires).

Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont étudié le génome de 86 292 islandais en comparant le patrimoine génétique de personnes considérées comme « non créatives » (agriculteurs, pêcheurs, employés, travailleurs manuels et vendeurs) avec celui d’individus dits « créatifs ». Par souci de commodité, les sujets appartenant à cette dernière catégorie étaient tous membres des sociétés nationales artistiques de danseurs, d’acteurs, de musiciens ou d’écrivains.

Par ailleurs, afin d’éviter tout biais potentiel au sein de leur étude, les scientifiques ont également pris soin de tenir compte des différences de quotient intellectuel et de niveau éducatif entre les sujets, ainsi que de l’existence de proches parents atteints de troubles psychotiques.

Résultats : en comparant les données obtenues avec différentes variations génétiques qui sembleraient être liées à la schizophrénie et à la bipolarité, les chercheurs ont constaté que les personnes se trouvant dans la catégorie « créatives » avaient un code génétique qui se trouvait à mi-chemin entre celui des personnes psychotiques et celui de personnes dites « saines ». En d’autres termes, il semblerait que les risques génétiques de développer des troubles mentaux soient bien plus élevés chez les personnes créatives que chez le reste de la population. « Les gens créatifs peuvent avoir une prédisposition génétique à penser différemment, ce qui, lorsqu’elle est combinée avec d’autres facteurs biologiques ou environnementaux néfastes, pourrait conduire à une maladie mentale », expliquent les chercheurs avant de conclure que leur « étude accrédite l’idée d’un rôle direct joué par les facteurs génétiques sur la créativité ».

Des résultats à prendre avec des pincettes

Pour autant, l’ensemble de la communauté scientifique n’est pas en accord avec la conclusion de cette étude et nombreux sont les chercheurs à avoir remarqué certaines failles. C’est notamment le cas du Docteur Vishwajit L. Nimagonkar, professeur de psychiatrie et de génétique humaine à l’Université de Pittsburgh, qui explique que la créativité est un terme « extrêmement difficile à définir ». « Le coeur du problème est de savoir si le fait d’être membre d’une société artistique signifie que l’on soit créatif », poursuit-il, relayé par le site ouest-france. En partant de ce constat, rien ne permet donc non plus de conclure que certains sujets ayant été classés dans la catégorie des personnes « non créatives » ne possédaient pas en réalité un important potentiel inventif et artistique – le tri ayant été fait uniquement en fonction de la profession.

Par ailleurs, même s’il a été démontré qu’une composante génétique existait pour la schizophrénie, celle-ci est extrêmement vaste et de nombreux autres mécanismes, aussi bien biologiques qu’environnementaux sont également à l’œuvre dans la survenue de cette pathologie.

Selon l’avis du Professeur David Cutler, professeur assistant au département génétique humaine de l’Université Emory à Atlanda, « les résultats sont robustes mais très limités », puisque les gènes considérés comme étant impliqués dans la schizophrénie et les troubles bipolaires sont « probablement impliqués dans toutes sortes de fonctions neurologiques et cognitives, et pas uniquement dans celles liées aux capacités artistiques ».

En définitive, les conclusions établies par les chercheurs sembleraient donc légèrement prématurées. Pour autant, elles permettent de soulever des hypothèses intéressantes qui pourront servir de base pour de prochaines études visant à cerner un lien potentiel entre la façon de penser des personnes dites « créatives » et celles souffrant de pathologies mentales.

Sources: Nature Neurosciences – Ouest-FranceFrancetvinfo