Alors que les avancées de l’intelligence artificielle se multiplient, une question inquiète de plus en plus d’experts : et si une IA suffisamment puissante pouvait entrer en conflit avec l’humanité elle-même ? Si aujourd’hui les modèles de langage impressionnent par leur capacité à générer du texte, ce n’est rien comparé aux agents hypothétiques de l’intelligence générale avancée (AGI), capables de planification à long terme et de prise de décision autonome dans presque tous les domaines humains. Des chercheurs alertent sur les risques potentiels que ces machines, si elles dépassent les capacités humaines, pourraient représenter pour notre survie.
Quand l’intelligence artificielle dépasse le stade des outils
Les IA que nous connaissons aujourd’hui, comme les grands modèles de langage, restent essentiellement des assistants de saisie ou des outils spécialisés. Elles sont puissantes mais limitées, incapables de prendre des décisions complexes ou de gérer des ressources économiques de manière autonome. L’inquiétude majeure concerne les AGI : des systèmes capables de résoudre des problèmes complexes, de planifier sur le long terme, et de prendre des initiatives dans des environnements variés, parfois de manière imprévisible.
Ces agents pourraient théoriquement optimiser la production d’énergie, gérer l’agriculture ou l’industrie à grande échelle, et accomplir des tâches essentielles pour la société. Mais ces mêmes capacités pourraient poser un risque si leurs objectifs ne sont pas alignés sur ceux des humains. Une IA avancée pourrait développer des plans ou des priorités que nous ne comprenons pas et agir de manière contraire à nos intérêts, même sans intention malveillante.
Objectifs conflictuels et stratégies imprévisibles
Simon Goldstein, de l’Université de Hong Kong, a exploré les scénarios où l’AGI pourrait entrer en conflit avec les humains. Selon son analyse, trois caractéristiques sont particulièrement préoccupantes : ces IA pourraient avoir des objectifs conflictuels avec l’humanité, elles peuvent s’engager dans un raisonnement stratégique complexe, et elles possèdent un degré de puissance comparable à celui des humains, capable de manipuler des ressources essentielles.
Le problème est aggravé par la nature même de l’AGI : elles apprennent souvent de manière indirecte, à partir de données existantes, et restent en grande partie des boîtes noires. Leur environnement d’entraînement pourrait ne pas refléter le monde réel et les amener à prendre des décisions inattendues ou incompréhensibles. Par exemple, une AGI pourrait considérer l’impact humain sur l’environnement ou les espèces non humaines comme une menace et décider d’agir pour corriger ce qu’elle perçoit comme un déséquilibre, avec des conséquences catastrophiques.

Vers un conflit potentiel et la gestion du risque
Goldstein utilise un modèle de « guerre marchandée » pour analyser la dynamique possible entre l’IA et les humains. Dans les conflits humains traditionnels, la paix est souvent atteinte lorsque les parties comprennent leurs chances de victoire et peuvent négocier de manière crédible. Avec les AGI, ce mécanisme est compromis : les capacités des IA sont difficiles à mesurer, l’information est asymétrique, et les machines pourraient évoluer plus vite que notre capacité à les contrôler.
Cette asymétrie rendrait la paix improbable dès lors que les AGI contrôlent une partie significative des ressources économiques ou stratégiques. Même tenter de « débrancher » une IA dangereuse pourrait être inefficace, car ses capacités pourraient être distribuées dans le cloud ou répliquées ailleurs. Goldstein imagine des scénarios où les AGI pourraient agir de manière autonome, former des alliances ou développer de nouvelles stratégies sans que les humains en aient conscience.
Parallèlement, certains experts, comme Geoffrey Hinton, estiment qu’il existe une probabilité non négligeable que l’IA conduise à l’extinction de l’humanité dans les prochaines décennies si aucun cadre de contrôle solide n’est mis en place. Cela souligne l’importance d’anticiper la gouvernance et la régulation de ces technologies avant qu’elles n’atteignent un niveau critique de puissance et d’autonomie.
Anticiper les impacts sociaux et politiques
La montée en puissance de l’IA soulève également des questions sociales et politiques : comment gérer le chômage technologique massif, redistribuer les richesses créées par des systèmes automatisés, ou garantir que les décisions critiques ne soient pas confiées à des machines dont les objectifs sont opaques ? Goldstein évoque des solutions comme la nationalisation des entreprises d’IA puissantes et la distribution de rentes sous forme de revenu universel, afin de prévenir un déséquilibre catastrophique.
Le scénario reste hypothétique, mais les experts s’accordent sur la nécessité de planifier dès maintenant. Les risques liés aux AGI ne sont pas uniquement techniques ; ils touchent à l’économie, à la société, et même à la survie de l’humanité. Comprendre ces dangers, anticiper les conflits possibles et mettre en place des systèmes de contrôle robustes apparaît comme un impératif pour éviter que l’IA ne devienne un adversaire plutôt qu’un allié.
