L’érosion de la couche d’ozone à l’origine d’une extinction de masse il y a 360 millions d’années

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Crédits : Wikimedia Commons.

Une nouvelle étude avance que la seconde phase d’extinction de masse à la transition Dévonien-Carbonifère est attribuable à un recul massif de la couche d’ozone. Un mécanisme initié par le réchauffement rapide du climat à cette époque. Selon les chercheurs, se pose incidemment la question du risque associé à l’évolution climatique actuelle. Les résultats ont été publiés dans la revue Science Advances le 27 mai dernier.

La couche d’ozone stratosphérique – aussi appelée ozonosphère – est une propriété très précieuse de l’atmosphère de notre planète. En effet, elle protège le vivant des effets délétères portés par les rayons ultraviolets émis par le soleil. Une partie des UVB et la totalité des UVC sont filtrées avant d’atteindre la surface. La fraction des UVB qui atteint le sol est notamment responsable des coups de soleil et du phénomène de bronzage.

Avec le rejet massif de substances destructrices de l’ozone durant la seconde partie du 21e siècle (CFCs, PFCs etc.), cette protection a commencé à s’éroder. Rapidement, le monde a pris conscience de la dangerosité d’une telle évolution. Aussi, dès 1989, le Protocole de Montréal entrait en vigueur. Signé en 1987, ce traité et ses amendements visaient à bannir l’utilisation des gaz halogénés responsables de la dégradation de l’ozone stratosphérique.

Bien que le problème n’ait pas été purement et simplement résolu, cet effort concrétise toutefois une belle réussite sur le plan mondial. Si rien n’avait été entrepris, l’exposition croissante aux rayons UV aurait eu des conséquences dramatiques pour le vivant.

Recul massif de la couche d’ozone et extinction de masse

Une situation critique que confirme le passé lointain de la Terre. En effet, des chercheurs de l’université de Southampton (Angleterre) ont récemment mis en évidence l’existence d’une période de quelques milliers d’années où la couche d’ozone a drastiquement régressé. Cet épisode remonte à environ 360 millions d’années et correspond à une extinction de masse, laquelle restait assez énigmatique. Une vaste partie de la vie marine et la majorité de la vie continentale se sont alors éteintes.

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Illustration de quelques spores issues des roches. Certaines présentent une structure normale (D et E), et d’autres une structure anormale (N,S et T par exemple). Crédits : John E. A. Marshall & al. 2020.

C’est en travaillant sur des échantillons de roches prélevés dans les hauteurs orientales du Groenland et dans les Andes que les scientifiques ont fait cette découverte. En effet, après dissolution en laboratoire, ces roches ont mis à jour les spores fossiles qu’elles conservaient. Or, ces dernières possédaient d’étranges formes que les chercheurs ont rapidement reliées à une exposition accrue au rayonnement ultraviolet. Les épines malformées et autres anomalies pigmentaires observées témoignant de dommages portés aux brins d’ADN.

Ainsi, l’extinction marquant la transition Dévonien-Carbonifère – en tout cas, sa seconde phase – aurait été causé par un effondrement de l’ozone stratosphérique. Phénomène qui s’est produit lors d’une période de réchauffement climatique rapide. Dans leur étude, les auteurs expliquent que c’est précisément l’augmentation brutale de la température qui a initié cette évolution catastrophique. Voyons comment.

Un réchauffement climatique rapide en cause

Suite au réchauffement du climat, le transport de vapeur d’eau depuis les basses couches de l’atmosphère continentale vers la stratosphère s’est accru. En conséquence, l’injection de composés halogénés naturels comme le chlorure de méthyle s’est renforcé. Une dynamique fragilisant inévitablement la couche d’ozone. Ce faisant, la quantité de rayons UVB atteignant la surface a augmenté. Les écosystèmes forestiers ont peu à peu décliné, notamment des suites de l’effet stérilisant associé aux ultraviolets. Il en va de même pour les espèces marines vivant en eau peu profonde.

Or, le dépérissement des biomes continentaux a augmenté l’export de matière organique vers les océans. Les effervescences de phytoplancton se sont alors multipliées dans les eaux devenues très riches en nutriments. Un processus favorisant l’émission de substances halogénées. De fait, le transport de ces dernières vers la stratosphère s’est renforcé, de même que la réduction de la couche d’ozone. Un cercle vicieux.

L’amplification se serait arrêté en raison du pompage grandissant de dioxyde de carbone (CO2) par le plancton. En particulier, la baisse de la concentration atmosphérique en CO2 aurait initié un refroidissement du climat renversant finalement la boucle décrite précédemment. Il s’agit de la première étude qui met en avant un tel mécanisme comme cause d’une extinction de masse.

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Résumé schématique de l’hypothèse avancée par les chercheurs. Les différentes étapes sont listées de A à E. Crédits : Marshall, Lakin, Troth & Wallace-Johnson.

« Notre bouclier d’ozone a disparu pendant une courte période dans cette période ancienne, coïncidant avec un réchauffement bref et rapide de la Terre. Notre couche d’ozone est naturellement dans un état de flux – constamment créée et perdue – et nous avons montré que cela s’est également produit par le passé, sans catalyseur tel qu’une éruption volcanique » explique John Marshall, auteur principal de l’étude.

Une implication pour le futur qui reste à élucider

Comme tout événement d’extinction, seules certaines espèces ont survécu. De fait, les directions suivies par le processus d’évolution ont été fortement contraintes. Par exemple, c’est à cette période que les tétrapodes – nos lointains ancêtres – ont transité vers une vie essentiellement continentale et ont vu leur nombre de doigts et d’orteils réduit à cinq.

Toutefois, il s’agit là de considérations passées. Or, les résultats obtenus ont également une implication pour le futur. « Les estimations actuelles suggèrent que nous atteindrons des températures mondiales similaires à celles d’il y a 360 millions d’années, avec la possibilité qu’un effondrement similaire de la couche d’ozone puisse se reproduire, exposant la surface et la vie marine peu profonde à des radiations mortelles. Cela nous ferait passer de l’état actuel de changement climatique à une réelle urgence climatique » détaille John Marshall.

À ce stade, la probabilité de subir une catastrophe analogue dans un avenir proche est indéfinie. En particulier, le monde d’aujourd’hui est structurellement différent de celui d’il y a 360 millions d’années. Néanmoins, ces travaux ont le mérite de mettre en garde et motiveront certainement d’autres recherches sur le sujet. « (…) la perte d’ozone lors d’un réchauffement rapide est un processus inhérent au système terrestre, avec la conclusion inévitable que nous devrions être attentifs à une telle éventualité dans le monde plus chaud à venir » indique le papier.

Enfin, notons que cet événement de perte d’ozone n’est pas isolé dans l’histoire de la Terre. Néanmoins, c’est le seul qui ne présente pas d’origine volcanique et dont les conséquences sont aussi bien documentées à ce jour.

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