Quand l’URSS s’est effondrée, un cosmonaute s’est retrouvé coincé dans l’espace

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Volkov/TASS

Le 18 mai 1991, le cosmonaute Sergei Krikalev quittait la Terre pour la station spatiale soviétique Mir. Pendant qu’il était là-haut, à plus de 350 km d’altitude, le pays qui l’avait envoyé a cessé d’exister. Il devint alors, l’espace de quelques mois, le « dernier citoyen soviétique ».

Fraîchement diplômé en génie mécanique à Leningrad (qui deviendra plus tard Saint-Pétersbourg), Sergei Krikalev est recruté en 1981 par la société RKK Energia qui construit les vaisseaux et les lanceurs Soyouz utilisés par les vols spatiaux habités soviétiques. En 1985, il participe même à la mission de sauvetage de la station Saliout 7, alors hors service à cause d’une série de courts-circuits.

La même année, il est ensuite sélectionné en tant que cosmonaute avant d’être assigné au programme Bourane. Début 1988, il commence ensuite à s’entraîner pour son premier vol de longue durée à bord de la station spatiale Mir. Le 26 novembre 1988, il intègre enfin sa première mission à bord de la station, puis entame un second séjour en avril 1990. Celui-ci, il ne le sait pas encore, ne se passera pas du tout comme prévu.

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Une vue de la station Mir photographiée par un membre d’équipage de la cinquième mission d’amarrage (STS-81). Crédits : Wikipédia

« À un moment donné, j’ai eu des doutes« 

Dès le départ, d’ailleurs. En effet, alors que la capsule transportant Krikalev et deux autres membres d’équipage s’approche de Mir, le système de guidage échoue. Krikalev doit ainsi prendre les commandes et arrimer manuellement le vaisseau sans encombre. Gardant la tête froide, il accoste avec succès et les cosmonautes, ainsi que la première astronaute britannique Helen Sharman, montent à bord.

Pendant un temps, l’équipage exerce ses fonctions habituelles, tandis qu’en dessous l’Union soviétique commence à se tendre davantage et à se fissurer. Krikalev en est conscient. Les nouvelles, même si elles sont rares, arrivent jusqu’à la station. Lui a tout ce dont il a besoin à bord. En revanche, il commence à s’inquiéter pour sa famille et ses amis.

Bientôt, la station spatiale se retrouve elle aussi affectée par la politique en cours 358 kilomètres plus bas. Alors que le Kazakhstan (entre autres) fait pression pour obtenir son indépendance, le président soviétique Mikhail Gorbatchev annonce qu’un cosmonaute kazakh remplacera Krikalev une fois sa mission terminée afin d’apaiser les tensions. Personne au Kazakhstan n’étant alors formé en tant que cosmonaute, cela signifiait que Krikalev devrait rester dans l’espace un peu plus longtemps que prévu.

Dès lors, le cosmonaute commence à s’inquiéter pour sa propre santé. On ne savait pas grand-chose à l’époque des effets des séjours prolongés dans l’espace sur le corps humain. Toutefois, Krikalev avait connaissance de certains risques. « Aurai-je assez de force ? Pourrai-je me remettre de ce séjour plus long et terminer le programme ? Naturellement, à un moment donné, j’ai eu des doutes« , expliquera-t-il ensuite.

Puis, en octobre, tout le monde quitte la station… sauf Krikalev. Personne d’autre n’ayant en effet assez d’expérience pour rester s’occuper de la structure et les Soviétiques n’ayant pas les moyens d’envoyer un autre cosmonaute, il reste donc là-haut pour « faire tourner la machine ».

Le « dernier citoyen soviétique »

Finalement, le 25 décembre 1991, l’Union soviétique s’effondre. Dès lors, le manque d’argent empêche l’envoi d’une éventuelle mission visant à libérer le cosmonaute de ses fonctions. Certes, il peut encore intégrer la capsule et revenir sur Terre, mais il est bien conscient que son départ signerait la fin de la station Mir. Donc, il reste.

Sous le fardeau de l’hyperinflation, la Russie cherche alors de l’argent et vend des places à bord des Soyouz aux pays occidentaux. Trois mois plus tard, le 25 mars 1992, après avoir passé 311 jours consécutifs dans l’espace, Krikalev rentre finalement sur Terre. L’Allemagne venait en effet de payer 24 millions de dollars à la Russie pour envoyer son mécanicien de bord Klaus-Dietrich Flade à bord de la station.

Dès sa capsule au sol, les autorités extraient alors un homme en combinaison sur laquelle étaient encore cousus le drapeau rouge soviétique et quatre grosses lettres « CCCP » (URSS en russe). L’homme était « blanc comme un cachet d’aspirine et en sueur, tel un morceau de pâte mouillée« , écriront des journaux occidentaux. Les terres sur lesquelles il vient de se poser ne sont plus soviétiques, mais kazakhes. Sa ville natale ne s’appelle plus Leningrad, mais Saint-Pétersbourg. Et son salaire mensuel de 600 roubles, auparavant inaccessible pour la plupart des citoyens du pays, a perdu toute sa valeur.

À son départ, il était citoyen d’un État qui n’existait plus, ce qui lui valut le surnom de « dernier citoyen soviétique ». Il obtiendra finalement le titre de héros de Russie et repartira dans l’espace deux ans plus tard, devenant au passage le premier cosmonaute russe à effectuer un vol à bord d’une navette américaine. Dès 1998, il sera également le premier homme à débarquer à bord de la nouvelle Station spatiale internationale.