Coronavirus : « Nous devons les trouver avant qu’ils nous trouvent »

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Crédits : _freakwave/Pixabay

La virulogue Shi Zhengli, basée à Wuhan, a identifié des dizaines de souches mortelles de coronavirus au cours de ces dernières années. Mais elles ne sont que la pointe d’un gigantesque iceberg, prévient-elle.

Le 30 décembre dernier, alors qu’elle assistait à une conférence à Shanghai, Shi Zhengli reçut un appel de son patron. De mystérieux échantillons de patients venaient d’arriver à l’Institut de virologie de Wuhan, et d’après les premières analyses, un nouveau coronavirus commençait visiblement à sévir dans la région.

Si la découverte venait à se confirmer, et compte tenu de l’état de santé des premiers patients, ce nouvel agent pathogène pourrait constituer une grave menace pour la santé publique. « Abandonnez tout ce que vous faites et traitez-le maintenant« , se souvient-elle avoir entendu au téléphone.

Shi Zhengli, surnommée la « femme chauve-souris » par ses collègues, a donc sauté dans le premier avion pour se rendre à Wuhan. Ce qu’elle ne savait pas encore, c’est que la mystérieuse maladie provoquée par le virus s’est déjà propagée comme une traînée de poudre. Mais revenons un peu en arrière.

L’expérience du SRAS

Shi Zhengli étudie les chauves-souris porteuses de virus depuis environ 16 ans. Tout a commencé en 2004, alors qu’une partie du monde venait d’essuyer la tristement célèbre épidémie de SRAS. La chercheuse avait alors intégré une équipe internationale de chercheurs qui visait à collecter des échantillons dans des grottes situées près de Nanning, en Chine.

Ces expéditions étaient d’une importance capitale dans la mesure où, avant le SRAS, les coronavirus étaient surtout connus pour provoquer des rhumes communs. Cette épidémie a véritablement changé la donne. C’était en effet la première fois qu’un coronavirus mortel à potentiel pandémique semblait émerger. Il fallait donc remonter à la source, trouver le ou la coupable, afin de mieux appréhender ce nouveau danger auquel notre espèce devait se confronter.

Chaque fois que l’équipe de Shi localisait une grotte de chauves-souris, un filet était alors placé à l’ouverture avant le crépuscule. L’idée consistait à capturer les petits mammifères s’aventurant à l’extérieur pour se nourrir durant la nuit. Une fois les chauves-souris piégées, les chercheurs prélevaient des échantillons de sang et de salive, ainsi que des écouvillons fécaux.

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Shi Zhengli, photographiée lors d’une « chasse aux virus » en 2004. Crédits : Wuhan Institute of Virology

Malheureusement, en huit mois de recherches sur le terrain, les chercheurs n’avaient isolé aucune trace de matériel génétique provenant de coronavirus. L’équipe était sur le point d’abandonner, lorsqu’un groupe de recherche d’un laboratoire voisin lui remit finalement un kit de diagnostic pour tester les anticorps produits par des personnes atteintes du SRAS.

Tout s’est ensuite accéléré. Les chercheurs ont en effet rapidement identifié trois espèces de chauves-souris porteuses des fameux anticorps. Ce n’est qu’à ce moment précis qu’ils ont pris conscience que la présence du coronavirus chez les chauves-souris était éphémère et saisonnière, et non constante, mais que la présence des anticorps pourrait persister de quelques semaines à plusieurs années.

L’équipe de Shi, munie de ces nouvelles informations, ont ensuite poursuivi les recherches sur le terrain pour finalement réussir à réduire les emplacements susceptibles d’abriter les chauves-souris responsables de l’épidémie. Ils se sont finalement tournés vers la grotte Shitou, retrouvée à la périphérie de Kunming, la capitale du Yunnan. Les analyses qui ont suivi ont alors confirmé que tout était parti de là.

Ce fut une victoire pour les chercheurs, mais ces analyses ont également révélé d’autres problèmes. Dans cette grotte, ils ont en effet découvert des centaines de coronavirus supplémentaires. « La majorité d’entre eux sont inoffensifs, explique Shi Zhengli. Mais des dizaines appartiennent au même groupe que le SRAS« .

Un problème de proximité

Pour beaucoup, les marchés de la faune en Chine – qui vendent un large éventail d’animaux tels que des chauves-souris, des civettes ou des pangolins – sont de parfaits creusets viraux. Le 24 février dernier, la nation a d’ailleurs interdit de manière permanente le commerce et la consommation d’espèces sauvages (sauf à des fins de recherche ou médicinales). Mais il faut bien comprendre que ce n’est ici qu’une partie du problème.

Près de la grotte de Shitou, où de nombreux villages sont installés, l’équipe de Shi a en effet prélevé en 2015 des échantillons de sang auprès de plus de 200 habitants. Il est ressorti que six d’entre eux (soit près de 3%), portaient des anticorps contre les coronavirus de type SRAS provenant de chauves-souris. Pourtant, aucun n’avait manipulé ces animaux, ni signalé de symptômes liés à une éventuelle pneumonie.

Ainsi vous n’avez pas besoin d’être un commerçant d’animaux sauvages, ni d’en consommer, pour être infecté.

Et c’est bien là le problème. Ces relations inter-espèces sont en effet malheureusement de plus en plus étroites avec l’augmentation de la population humaine qui, forcément, empiète sur les habitats fauniques. Et si les réservoirs semblent effectivement ne se concentrer que dans certaines zones, rappelons que notre monde est désormais régit par les échanges internationaux. Ainsi les agents pathogènes sont capables de se propager rapidement, s’appuyant sur les aéroports comme points-relais.

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Crédits : emmagrau/pixabay

Un autre problème s’est également révélé fin 2016, lorsque des porcs de quatre fermes du comté de Qingyuan, situé à quelques kilomètres du site d’origine de l’épidémie de SRAS, ont commencé à souffrir de vomissements et de diarrhée aigus. Près de 25 000 animaux ont finalement dû être abattus.

Les vétérinaires locaux n’ayant pas été en mesure de détecter le moindre agent pathogène connu, la virologue fut donc amenée à se rendre sur place. Il est finalement ressorti que nous devions ce syndrome de diarrhée aiguë du porc (SADS) à un virus dont la séquence génomique était identique à 98% à un coronavirus trouvé dans une grotte voisine.

Et c’est ici que ça devient très dangereux. Parce que les porcs et les humains ont un système immunitaire très similaire, ce qui facilite le passage des virus entre les deux espèces, d’une part. Mais il faut aussi prendre en considération l’ampleur de l’élevage porcin dans le monde, qui implique des contacts fréquents et étroits entre l’Homme et l’animal. C’est pourquoi, selon la virologue, la recherche de nouveaux coronavirus chez les porcs devrait être considérée comme une priorité absolue.

En attendant, à Wuhan, la « femme chauve-souris » continu à diriger des recherches dans ce domaine. « Ce que nous avons découvert n’est que la pointe d’un iceberg« , explique t-elle, estimant qu’il pourrait exister jusqu’à 5 000 souches encore à découvrir chez les chauves-souris à travers le monde. Ainsi « les coronavirus provoqueront davantage d’épidémies. C’est pourquoi nous devons les trouver avant qu’ils nous trouvent« .

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