Grâce Ă l’étude mĂ©ticuleuse d’une carotte sĂ©dimentaire forĂ©e au nord-ouest de l’ocĂ©an Atlantique, une Ă©quipe de chercheurs germano-brĂ©silienne a pu identifier les tenants et aboutissants des altĂ©rations massives de la circulation ocĂ©anique lors de la dernière pĂ©riode glaciaire. Les rĂ©sultats ont rĂ©cemment Ă©tĂ© publiĂ©s dans la revue Nature Communications.
Une caractéristique typique des périodes glaciaires vis-à -vis des périodes interglaciaires est leur instabilité. En effet, les forages effectués en Antarctique et au Groenland dans les années 1980 et 1990 ont révélé des fluctuations de la température régionale pouvant aller jusqu’à plus de dix degrés en seulement quelques décennies.
Un couplage étroit entre AMOC et cryosphère
Aujourd’hui, nous savons que ces changements abrupts sont liĂ©s Ă des altĂ©rations massives de la circulation ocĂ©anique de l’Atlantique Nord (AMOC). En cause, l’énorme calotte glaciaire Laurentide qui couvrait alors le Canada et le nord des États-Unis de ses trois Ă quatre kilomètres d’Ă©paisseur et qui se purgeait tous les milliers d’annĂ©es en expulsant d’énormes quantitĂ©s d’icebergs via la mer du Labrador. La dernière fois que notre planète a hĂ©bergĂ© la Laurentide remonte Ă il y a environ vingt mille ans.
Comme cet apport massif en eau douce Ă©croulait la circulation thermohaline dans l’Atlantique, un refroidissement rapide survenait au nord du bassin, contrebalancĂ© par un rĂ©chauffement plus lent au sud et inversement lors de sa remise en route. Ces dĂ©bâcles d’icebergs sont appelĂ©es Ă©vènements de Heinrich. On en dĂ©nombre une dizaine lors de la dernière pĂ©riode glaciaire. Toutefois, la sĂ©quence qui va de la dĂ©stabilisation initiale Ă la remise en route de la circulation ocĂ©anique, en passant par son interruption est sujette Ă dĂ©bats. Qu’est-ce qui initiait ces purges ?

Dans une nouvelle Ă©tude, des chercheurs ont pour la première fois montrĂ© que la libĂ©ration massive d’icebergs Ă©tait prĂ©cĂ©dĂ©e par un rĂ©chauffement de l’ocĂ©an Ă quelques centaines de mètres de profondeur, sous les plateformes de glace de la Laurentide, au niveau du Labrador. Une configuration instable qui force la calotte Ă libĂ©rer des torrents d’icebergs. Cette dĂ©couverte a Ă©tĂ© rendue possible par l’analyse de sĂ©diments marins prĂ©levĂ©s entre le Canada et le Groenland.
« Le processus commence par un affaiblissement apparemment insignifiant de l’AMOC, qui provoque un rĂ©chauffement de subsurface aux hautes latitudes de l’Atlantique Nord », explique Cristiano M. Chiessi, l’un des coauteurs de l’étude. « Ce rĂ©chauffement fait fondre les langues marines des glaciers, dĂ©plaçant rapidement ces derniers vers la mer et libĂ©rant des armadas d’icebergs. Au fur et Ă mesure que les icebergs fondent, la salinitĂ© de l’eau de surface diminue dans la rĂ©gion. L’eau de surface n’est plus assez dense pour plonger et l’AMOC s’effondre ».
Une mise en garde pour l’avenir
Outre la redistribution d’énergie induite par l’altĂ©ration de l’AMOC, les chercheurs Ă©voquent les consĂ©quences sur les prĂ©cipitations tropicales. En effet, lors d’un effondrement du transport de chaleur vers le nord, la zone de convergence intertropicale reflue vers le sud. On observe par exemple une augmentation considĂ©rable des pluies au nord-est du BrĂ©sil et un assèchement sur le nord de l’Amazonie. Ou encore, un assèchement du Sahel avec une progression vers le sud des zones semi-arides qui bordent la partie mĂ©ridionale du Sahara.
Les enseignements que nous apportent ces travaux sont multiples. D’un côté, l’affaiblissement attendu de l’AMOC dans le contexte du réchauffement climatique devrait conduire à un réchauffement océanique régional en subsurface et donc à une accélération de la fonte des glaciers groenlandais. De l’autre, les régimes de moussons dont dépendent des centaines de millions de personnes seront affectés en cas d’affaiblissement marqué de cette circulation. Des répercussions majeures qu’il convient de considérer dès à présent avec le plus grand des sérieux.