Comment s’est mise en place l’immense calotte de l’Antarctique ?

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Crédits : NASA/Goddard Space Flight Center Scientific Visualization Studio.

Des recherches viennent améliorer notre compréhension des facteurs qui ont conduit à l’englacement de l’Antarctique vers la fin de l’Éocène. Les résultats ont été publiés dans la revue Nature Communications le 9 novembre 2021.

L’énorme masse de glace qui couvre l’Antarctique s’est formée il y a environ 34 millions d’années, à un moment où les dernières langues de terres qui reliaient le continent polaire à l’Amérique du Sud et à l’Australie se rompaient. En effet, un imposant courant océanique s’écoulant d’ouest en est s’est alors mis en place tout autour de l’Antarctique, isolant nettement ce dernier du reste du globe.

D’un continent vert à un continent blanc

La chute du transport de chaleur qui en a résulté a provoqué un refroidissement majeur sur le continent. Initialement couvert de végétation, celui-ci s’est peu à peu transformé en steppe, puis en toundra jusqu’à l’apparition des premiers glaciers à basse altitude. En quelques centaines de milliers d’années, chute de neige après chute de neige, une gigantesque calotte a fini par se constituer. Peu à peu, les paysages autrefois verts ont laissé place à un désert blanc.

Tandis que le climat se refroidissait au sud, la concentration atmosphérique en dioxyde de carbone (CO2) diminuait de façon régulière, généralisant la baisse des températures à l’entièreté du globe. Or, jusqu’à présent, il était difficile de déterminer la contribution respective du changement de géographie continentale par rapport à celui du CO2 dans l’englacement de l’Antarctique.

Le rôle déterminant de la tectonique dans l’englacement de l’Antarctique

Dans une étude, des chercheurs ont montré que ces deux phénomènes sont en fait étroitement liés. En utilisant un modèle océanique à très haute résolution qu’ils ont contraint avec la géographie de l’époque, les scientifiques ont constaté que des changements relativement mineurs de la profondeur des passages maritimes, de l’ordre de la centaine de mètres, étaient suffisants pour amener un refroidissement des eaux périantarctiques de 2 °C à 4 °C.

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Paléogéographique et bathymétrie de l’océan austral il y a 38 millions d’années (A). Ouverture des passages de Tasmanie, entre l’Antarctique et l’Australie, et de Drake, entre l’Antarctique et l’Amérique du Sud (B et C). Les nuances de couleurs indiquent la profondeur en mètres. Crédits : Isabel Sauermilch & coll. 2021.

« Lorsque nous avons commencé ce projet, j’ai été surpris de voir à quel point la haute résolution compte dans un modèle océanique. Ces simulations sont sensibles à des changements minimes dans la profondeur des voies maritimes et réagissent très différemment de leurs homologues à basse résolution », détaille Isabel Sauermilch, auteure principale du papier. « De plus, ils résolvent les tourbillons, des courants océaniques turbulents inférieurs à 100 kilomètres essentiels pour la distribution précise de la température dans l’océan Austral ».

Aussi, les études qui ont pu minimiser l’influence des changements tectoniques sont arrivées à cette conclusion parce qu’elles reposaient sur des modèles avec une résolution spatiale insuffisante. Comme la prise en compte des mécanismes de petite échelle est nécessaire, il n’est donc pas étonnant que des contradictions soient apparues entre les différents travaux publiés jusqu’ici.

De l’interaction entre baisse du CO2 et circulation océanique

De son côté, le CO2 se présente comme un facteur qui précipite ou retarde la prise du continent par les glaces. Ainsi, sa baisse constante a participé à une entrée en glaciation rapide, progressivement étendue à l’échelle globale. De plus, la mise en place du courant circumpolaire avec ses eaux froides et bien mélangées a elle-même contribué à accélérer la baisse du CO2. On voit donc que si l’aspect tectonique joue un rôle déterminant, les deux tendent par la suite à agir de concert.

« Durant la COP26, nous avons beaucoup entendu parler de la modélisation et des projections sur l’avenir de notre planète. Dans cet article, nous montrons qu’il est crucial d’inclure les teneurs atmosphériques en CO2 ainsi que les géographies appropriées du passé pour modéliser avec succès les changements climatiques », relate Katharina Hochmuth, coauteure de l’étude. « Un changement de 600 mètres dans la profondeur d’une voie maritime peut entraîner une baisse spectaculaire des températures côtières et, par conséquent, déterminer le sort de la calotte glaciaire de l’Antarctique ».