anesthésie
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Nous savons enfin comment le Propofol induit une perte de connaissance

L’anesthésie générale est un outil médical essentiel, utilisé quotidiennement dans les blocs opératoires du monde entier. Pourtant, la manière exacte dont certains anesthésiants provoquent une perte de conscience demeurait une énigme pour la science. Une équipe de neuroscientifiques du MIT a récemment levé le voile sur ce mystère en étudiant un anesthésique couramment utilisé : le propofol. Leurs recherches révèlent un mécanisme surprenant : plutôt que de simplement « éteindre » le cerveau, ce produit perturbe l’équilibre délicat entre stabilité et excitabilité du réseau neuronal, ce qui plonge progressivement le cerveau dans un état d’instabilité jusqu’à l’inconscience.

L’équilibre fragile du cerveau

Le cerveau fonctionne sur un fil du rasoir : il doit être suffisamment excitable pour permettre la transmission des informations, mais pas au point de sombrer dans un chaos incontrôlable. Ce fragile équilibre repose sur un concept appelé stabilité dynamique qui assure que les neurones peuvent réagir aux stimuli sans provoquer de surcharge. Si cet équilibre est rompu, deux scénarios extrêmes peuvent se produire :

  1. Trop de stabilité : un état où le cerveau devient rigide, insensible aux nouvelles informations, comme une radio figée sur une seule fréquence.
  2. Trop d’excitabilité : un état chaotique où l’activité neuronale devient incontrôlable, comme une cacophonie assourdissante empêchant tout traitement cohérent des signaux.

Jusqu’à récemment, les scientifiques ne savaient pas si la perte de conscience sous anesthésie résultait d’une stabilité excessive ou d’une excitation incontrôlée. Les nouvelles recherches menées au MIT suggèrent que le propofol pousse le cerveau vers l’instabilité, ce qui brise ainsi sa capacité à maintenir un état de conscience.

Comment le propofol agit sur le cerveau

Le propofol est connu pour se fixer sur des récepteurs GABA qui jouent un rôle clé dans l’inhibition des neurones. Cela signifie qu’il réduit l’activité neuronale globale, ce qui semble en théorie conduire à un état de calme et de stabilité. Cependant, l’étude menée par le MIT a révélé un effet paradoxal : en augmentant l’inhibition dans certaines parties du cerveau, le propofol entraîne en réalité une instabilité croissante du réseau neuronal.

Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont enregistré l’activité électrique du cerveau d’animaux sous anesthésie. Grâce à une technique avancée appelée délai d’intégration, ils ont pu analyser comment le cerveau répond aux stimuli avant et après l’administration du propofol. Résultat : au lieu de retrouver un équilibre après chaque stimulation, le cerveau des animaux sous propofol mettait de plus en plus de temps à revenir à la normale. Plus le médicament agissait, plus l’instabilité augmentait jusqu’à ce que le cerveau perde complètement sa capacité à maintenir la conscience.

Cette découverte remet en question l’idée que l’anesthésie générale est simplement un état de sommeil profond. En réalité, il s’agit plutôt d’un effondrement progressif du contrôle cérébral, un peu comme un bâtiment dont les fondations deviennent de plus en plus fragiles avant de s’écrouler totalement.

Un effet contre-intuitif : plus d’inhibition, plus d’instabilité

Pourquoi l’inhibition provoque-t-elle une instabilité au lieu de calmer le cerveau ? Les chercheurs du MIT ont exploré cette question en développant un modèle informatique qui simule un réseau de neurones interconnectés. Lorsqu’ils ont augmenté l’inhibition dans certaines zones du réseau comme le fait le propofol, l’activité est devenue paradoxalement plus erratique et désordonnée. Ce phénomène s’explique par un effet appelé désinhibition :

  • Le propofol stimule des neurones inhibiteurs qui à leur tour inhibent d’autres neurones inhibiteurs.
  • Cette double inhibition entraîne une excitation excessive dans certaines parties du cerveau, perturbant l’équilibre général du réseau.
  • Finalement, l’activité neuronale devient tellement instable que le cerveau perd sa capacité à traiter l’information, entraînant la perte de conscience.
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Vers un meilleur contrôle de l’anesthésie

Cette découverte pourrait avoir des implications majeures pour la médecine anesthésique. Actuellement, les anesthésistes ajustent les doses de propofol en fonction de paramètres indirects comme la fréquence cardiaque ou la pression artérielle. Toutefois, ces indicateurs ne permettent pas de mesurer précisément l’état du cerveau sous anesthésie. Grâce aux travaux du MIT, il serait ainsi possible de développer de nouveaux outils capables de surveiller en temps réel la stabilité dynamique du cerveau et d’adapter les doses d’anesthésique en conséquence.

L’un des objectifs des chercheurs est donc de mettre au point un système intelligent basé sur ces découvertes qui ajusterait automatiquement la quantité d’anesthésiant administrée en fonction de l’état neuronal du patient. Cela permettrait de :

  • Réduire les risques d’un dosage trop faible (réveil accidentel pendant l’opération) ou trop fort (effets secondaires graves) ;
  • Personnaliser l’anesthésie en fonction de chaque patient, car la sensibilité aux anesthésiques varie d’un individu à l’autre ;
  • Mieux comprendre les états cérébraux et leurs dysfonctionnements, ce qui pourrait aussi bénéficier à la recherche sur des troubles comme la schizophrénie ou la dépression.

Un pas vers des anesthésiques plus sûrs ?

L’étude du MIT soulève également une question plus large : d’autres anesthésiques agissent-ils de la même manière ? Les chercheurs pensent que bien qu’agissant sur d’autres récepteurs, différents anesthésiants pourraient tous conduire à la perte de conscience en perturbant la stabilité dynamique du cerveau. Si cette hypothèse se confirme, cela pourrait ouvrir la voie à de nouvelles molécules mieux contrôlées afin d’anesthésier plus précisément sans perturber excessivement le réseau neuronal.

L’objectif serait de développer des médicaments capables d’induire une anesthésie plus réversible et contrôlée qui éviteraient ainsi certains effets secondaires postopératoires comme les confusions ou les pertes de mémoire temporaire.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.