L’océan joue un rôle essentiel dans la régulation de notre climat en absorbant une part importante du dioxyde de carbone (CO₂) émis par les activités humaines. Environ un quart de ces émissions y sont stockées, ce qui aide à limiter le réchauffement climatique. Cependant, une étude récente menée par David Ho, un océanographe de l’Université d’Hawaï, montre que la pluie pourrait renforcer ce processus d’absorption de CO₂.
Tout commence dans un parking
Tout a débuté dans les années 1990, dans le parking d’un bâtiment de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) à Miami. David Ho, alors jeune diplômé de vingt-deux ans, a une idée surprenante pour tester ses théories : il installe deux petites piscines pour enfants qu’il remplit d’eau mélangée à un traceur de gaz et ajoute un auvent sur l’une d’elles pour servir de témoin. Pendant des mois, il prélève quotidiennement des échantillons afin de vérifier si les pluies fréquentes de l’après-midi influent sur la quantité de CO₂ absorbée par l’eau. Malgré les difficultés, l’expérience révèle un résultat crucial : la pluie semble effectivement améliorer la capacité de l’eau à capter du CO₂.
Depuis, David Ho a poursuivi ses recherches en utilisant des équipements plus sophistiqués. Ces récents représentent ainsi l’aboutissement de décennies de recherche. En analysant les effets de la pluie à l’échelle mondiale, son équipe a démontré que les précipitations augmentent l’absorption annuelle de CO₂ par l’océan de 140 à 190 millions de tonnes, soit 5 à 7 % de plus chaque année.
Comment la pluie influence-t-elle l’océan ?
Mais pourquoi une simple goutte d’eau de pluie aurait-elle un tel effet ? Les chercheurs ont découvert que la pluie agit par trois mécanismes principaux. D’abord, il y a la turbulence. Lorsqu’une goutte de pluie frappe la surface de l’océan, elle crée un petit tourbillon qui mélange l’eau de surface avec celle plus en profondeur, exposant ainsi davantage d’eau au contact de l’air chargé de CO₂. Ce processus favorise alors l’échange de gaz entre l’atmosphère et l’océan, ce qui permet au dioxyde de carbone de mieux s’y dissoudre.
Ensuite, il y a l’effet de dilution. En arrivant dans l’océan, chaque goutte d’eau de pluie est relativement douce comparée à l’eau de mer. Ce changement réduit la salinité de surface, ce qui modifie le gradient de concentration du CO₂ entre l’air et l’océan. Cela facilite encore davantage l’absorption de ce gaz dans les eaux de surface.
Enfin, le troisième mécanisme est le dépôt humide. En traversant l’atmosphère, chaque goutte de pluie capte du CO₂, qu’elle transporte directement vers la mer en tombant. C’est un flux à sens unique où ce gaz de l’air finit par se retrouver injecté dans les océans, renforçant ainsi leur rôle de puits de carbone.
Une découverte aux implications importantes
Ce processus avait longtemps échappé aux scientifiques, car la plupart des données sur les concentrations de CO₂ dans l’océan proviennent d’échantillons d’eau prélevés à plusieurs mètres de profondeur. Or, la pluie n’agit que sur la surface de l’océan, invisible pour ces méthodes traditionnelles. Cette étude comble ainsi une lacune en fournissant une estimation complète et globale de l’effet de la pluie sur le dioxyde de carbone absorbé par l’océan.
Cette découverte est d’autant plus importante que le climat change, entraînant au passage une hausse des précipitations dans plusieurs régions du globe, notamment dans les zones tropicales. Ces pluies plus fréquentes et intenses pourraient ainsi renforcer encore l’absorption de CO₂ par les océans, offrant alors un potentiel supplémentaire pour limiter le réchauffement climatique.
Ces nouvelles informations permettront aux scientifiques de mieux ajuster leurs modèles climatiques en prenant en compte cet effet supplémentaire de la pluie sur les océans. Le chercheur Rik Wanninkhof de la NOAA, pionnier de l’utilisation de traceurs pour mesurer les échanges de gaz entre l’air et l’eau, qualifie cette étude de signal fort pour les modélisateurs du climat. Laetitia Parc, doctorante et co-autrice de l’étude, estime quant à elle que le fait de comprendre cet effet à petite échelle sera crucial pour des prédictions plus précises sur le bilan carbone global.