Les ours polaires ont besoin de toutes les stratégies possibles pour survivre dans leur environnement arctique glacial. Sauf au niveau de leurs pattes (qui peuvent finir blessées à cause de la glace fondue par le réchauffement climatique), l’un de leurs secrets les plus étonnants est en fait sous nos yeux : la glace ne colle pas à leur fourrure. Mais comment cela se fait-il ? L’un des plus grands mystères de leur survie semble être lié à leurs poils pleins de graisse. Ces découvertes fascinantes, publiées le 29 janvier dans la revue Science Advances, pourraient en tout cas aider les chimistes et ingénieurs à développer de nouveaux revêtements antigivre pour des tissus plus durables ainsi que pour les skis, les snowboards et plus encore.
Les ours polaires et leur fourrure graisseuse
Les ours polaires possèdent une épaisse couche de graisse sous deux couches de fourrure, ce qui leur permet de conserver leur chaleur corporelle interne. Ce système d’isolation est si efficace que les mâles adultes risquent même rapidement la surchauffe lorsqu’ils courent. Pourtant, bien qu’ils passent presque tout leur temps dans et autour d’eaux glaciales, la glace ne s’accumule pas sur leur fourrure. Pourquoi ?
Pour mieux comprendre ce phénomène étrange, une équipe de chercheurs a collecté des poils de six ours polaires sauvages. Ils ont mesuré la force d’adhésion de la glace afin d’évaluer dans quelle mesure elle pouvait coller à la fourrure. Ensuite, ils ont étudié l’hydrophobicité, c’est-à-dire la capacité d’une surface à repousser l’eau avant qu’elle ne gèle. Enfin, ils ont analysé le temps de retard de congélation, c’est-à-dire le temps nécessaire pour qu’une goutte d’eau gèle à une certaine température sur une surface donnée. Ils ont ensuite comparé les performances des poils d’ours polaire à celles des cheveux humains et de deux types de peaux synthétiques utilisées en ski.
« Le sébum est rapidement apparu comme l’élément clé qui offre cet effet antigivre, car nous avons découvert que la force d’adhésion était fortement impactée lorsque les poils étaient lavés », explique Julian Carolan, co-auteur de l’étude. « Des poils non lavés et graisseux rendaient l’adhésion de la glace beaucoup plus difficile. En revanche, lorsque la fourrure d’ours polaire était lavée et que la graisse était en grande partie éliminée, elle réagissait de la même manière que les cheveux humains auxquels la glace colle facilement, qu’ils soient lavés ou gras. »

Les ours polaires ont un sébum très particulier
Les ours polaires ne sont pas les seuls animaux à posséder de la graisse capillaire dans leur fourrure. Mais alors, pourquoi la glace adhère-t-elle aux cheveux humains et aux poils d’autres animaux, même gras, et pas à ceux des ours polaires ? Après avoir identifié le sébum comme l’élément clé qui empêche la glace d’adhérer, les chercheurs ont effectué son analyse chimique. Or, on y retrouve du cholestérol, des diacylglycérols et des acides gras, un mélange unique qui rend l’adhésion de la glace à leur fourrure difficile.
Cependant, l’équipe a été surprise de constater l’absence d’un métabolite lipidique appelé squalène. Or, on retrouve ce dernier dans les cheveux humains et dans la fourrure de mammifères aquatiques tels que les loutres de mer (qui ne vivent certes pas dans des conditions glaciales, mais qui ont tout de même besoin d’une fourrure qui les maintienne au chaud). Cette absence semble toutefois être un élément clé de la résistance des ours blancs à la glace.
Cette découverte apporte également un nouvel éclairage sur les stratégies adoptées par d’autres animaux qui vivent dans des environnements polaires pour empêcher la glace de s’accrocher à leur pelage ou à leurs plumes. Par exemple, la structure des plumes des manchots papous repousse naturellement la glace sans recourir à la graisse capillaire comme le font les ours polaires.
Un aspect crucial pour la chasse
La fourrure graisseuse des ours polaires est un secret essentiel à la survie de cette espèce emblématique dans l’un des climats les plus extrêmes de la planète. Et visiblement, outre la résistance à la glace et au froid, elle est aussi essentielle pour la chasse. Comme l’affirme Bodil Holst, professeure de nanophysique au département de physique et de technologie de l’Université de Bergen (Norvège), les ours « doivent être extrêmement silencieux lorsqu’ils chassent, car les phoques ont une ouïe particulièrement fine. Ces dix dernières années, les biologistes comportementalistes ont observé que les ours polaires chassent principalement en restant immobiles près des trous de respiration des phoques, frappant avec rapidité et discrétion lorsque leur proie apparaît. La faible friction causée par la graisse de leur fourrure facilite ces mouvements, à l’image de l’huile qui empêche une porte de grincer ».
Lors d’une visite au Musée national du Danemark, Holst a également observé comment les Inuits utilisent la fourrure d’ours polaire depuis des siècles. Elle a remarqué que ces peuples protègent les pieds de leurs tabourets de chasse avec de la fourrure d’ours polaire et qu’ils portent parfois des chaussons en peau d’ours polaire sous leurs bottes. Leurs méthodes traditionnelles de préparation de la fourrure préservent également le sébum.

Cette utilisation des poils graisseux leur permet d’« éviter les bruits en se déplaçant sur la glace. Certaines personnes portent même des « pantalons en fourrure d’ours polaire » qui couvrent ainsi toute la zone de contact avec la glace d’une fourrure à faible adhésion, pour une réduction optimale du bruit. […] Cela prouve que les Inuits connaissaient les propriétés uniques de la fourrure d’ours polaire bien avant que la science moderne ne les étudie », s’enthousiasme Holst.
Bien plus qu’une curiosité de la nature : une source d’inspiration aussi
« Les animaux qui vivent dans des habitats polaires sont une source d’inspiration pour le développement de nouveaux matériaux antigivre », estime Richard Hobbs, co-auteur de l’étude et chimiste au Trinity College de Dublin. En plus de mieux comprendre ces maîtres de l’adaptation, ces recherches pourraient ainsi aider à concevoir des matériaux plus sûrs et plus résistants au gel. « Nous pensons que ces revêtements lipidiques naturels produits par l’ours polaire nous permettront de développer de nouvelles solutions antigivre plus durables qui pourraient remplacer les produits chimiques éternels comme les PFAS, actuellement utilisés dans les revêtements antigivre », ajoute le chercheur.
Vous pouvez consulter l’étude sur ce lien.