Une équipe de recherche internationale, dirigée par le professeur Nicolas Yunes à l’Université de l’Illinois, a récemment réalisé une avancée majeure en mesurant le moment magnétique du muon avec une précision inédite. Mais pourquoi cette petite particule est-elle si importante pour la science et qu’est-ce que ces découvertes pourraient signifier ?
Une particule hors norme
Les muons sont des particules subatomiques qui appartiennent à la famille des leptons, tout comme les électrons. Découverts en 1936 par le physicien Carl Anderson, les muons partagent des caractéristiques avec eux : ils possèdent en effet la même charge électrique négative et ont un spin, une sorte de moment angulaire propre à chaque particule. Cependant, ils se distinguent par leur masse beaucoup plus élevée. En effet, un muon est environ 207 fois plus lourd qu’un électron. Pour donner une image, un muon serait à l’électron ce qu’un éléphant est à un chat, tout en conservant la même nature fondamentale.
Les muons sont produits naturellement dans l’atmosphère terrestre lorsque des rayons cosmiques (des particules à très haute énergie venant de l’espace) interagissent avec les molécules de notre atmosphère. Bien que leur durée de vie soit extrêmement courte (environ 2,2 millionièmes de seconde), ils sont si rapides qu’ils peuvent atteindre la surface de la Terre avant de se désintégrer en particules plus légères, comme des électrons et des neutrinos.
La masse élevée de ces particules en fait un outil idéal pour tester des théories physiques. En raison de cette masse, les muons sont en effet plus sensibles aux influences de particules et de forces invisibles qui pourraient exister au-delà de notre compréhension actuelle de la physique. Autrement dit, les muons pourraient réagir à des forces ou à des particules encore inconnues, ce qui ouvre ainsi une fenêtre vers de nouvelles découvertes. De plus, du fait de leur courte durée de vie, ils ne sont pas influencés par certaines interactions que connaissent les particules plus stables comme les protons ou les neutrons. Cela en fait une sonde extrêmement pure pour explorer les phénomènes à l’échelle subatomique.
Qu’est-ce que le moment magnétique ?
L’étude du moment magnétique du muon est particulièrement cruciale. Cette propriété fondamentale reflète en effet la manière dont une particule réagit à un champ magnétique, comme une toupie qui pivote en fonction des forces qui l’entourent.
Chaque particule possède son propre moment magnétique et celui-ci peut être prédit avec précision par les lois de la physique, notamment le modèle standard qui décrit les particules élémentaires et les forces qui les relient.
Cependant, pour le muon, le moment magnétique mesuré semble légèrement anormal, c’est-à-dire qu’il dévie des prédictions théoriques. Ce décalage pourrait donc être une fenêtre ouverte sur une nouvelle physique, au-delà du modèle standard.
L’expérience Muon g-2 : une précision record
Au Fermilab, un célèbre laboratoire de recherche en physique des particules situé aux États-Unis, des physiciens de la collaboration Muon g-2 se sont attelés à mesurer ce moment magnétique avec une précision encore jamais atteinte. Pour ce faire, ils ont fait circuler des muons à une vitesse proche de celle de la lumière dans un anneau de stockage de 7,1 mètres de diamètre, tout en leur appliquant un champ magnétique environ 30 000 fois plus fort que celui de la Terre.
En réponse à ce champ, ces particules ont commencé à tourner autour de leur axe, un phénomène appelé précession. En étudiant leur comportement, les chercheurs ont pu déterminer leur moment magnétique avec une précision incroyable, à 0,2 partie par million. Ce résultat est 2,2 fois plus précis que les précédentes mesures réalisées en 2006.

Pourquoi cette précision est-elle cruciale ?
Ces nouvelles données sont particulièrement excitantes pour la communauté scientifique, car toute anomalie dans le moment magnétique du muon pourrait indiquer l’existence de particules ou d’interactions encore inconnues. En effet, si les mesures continuent de montrer un écart par rapport aux prédictions du modèle standard, cela pourrait signifier qu’il existe d’autres forces ou particules qui influencent le comportement des muons et qui échappent à nos modèles actuels.
Pour rappel, le modèle standard de la physique est actuellement notre meilleure théorie pour expliquer les particules et les forces fondamentales. Il décrit les électrons, les protons, les neutrons ainsi que les forces électromagnétiques, nucléaires et faibles. Cependant, bien qu’il soit incroyablement précis, ce modèle présente des lacunes. Il ne parvient en effet pas à expliquer des phénomènes comme la gravité, la matière noire ou encore l’énergie noire, des composants mystérieux qui semblent pourtant constituer une grande partie de notre Univers.
À cause de leur masse plus importante que celle des électrons, les muons sont particulièrement sensibles à des forces et à des particules qui ne sont pas incluses dans le modèle standard. Ainsi, une étude plus approfondie de leur comportement pourrait conduire à des théories capables de combler ces lacunes, comme la supersymétrie ou même la théorie des cordes.
Et après ?
Bien que les résultats de l’expérience Muon g-2 soient déjà impressionnants, les chercheurs n’ont pas encore dit leur dernier mot. En effet, ils prévoient d’analyser encore trois années supplémentaires de données, ce qui pourrait améliorer encore davantage la précision de ces mesures.
Or, chaque nouvelle mesure et chaque nouvelle donnée rapproche les scientifiques de la réponse à une question cruciale : le comportement anormal du muon est-il la preuve que notre compréhension de la physique est incomplète ? Si la réponse est oui, nous pourrions être à l’aube d’une révolution scientifique.