Comment ces mille-pattes aveugles « voient » la lumière du soleil

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Crédit : SHILONG-YANG

Les mille-pattes chinois à tête rouge peuvent mesurer plus de vingt centimètres de long et se cachent sous les tapis de feuilles d’Asie de l’Est et d’Australie. Agressifs et aveugles, ils rampent sur le sol, invisibles dans l’obscurité. Dans le cadre d’une nouvelle étude publiée dans les Actes de l’Académie Nationale des Sciences (PNAS), des chercheurs ont récemment découvert comment ces mille-pattes évitent la lumière du Soleil qu’ils ne peuvent pas voir.

Les myriapodes, un groupe qui comprend les mille-pattes, ont progressivement simplifié leur vision au cours de leur histoire. Plusieurs de ces créatures n’ont d’ailleurs même plus d’yeux du tout. Et pour cause, dans l’obscurité perpétuelle des tapis de feuilles mortes, la vue est moins importante que le toucher. Ces arthropodes utilisent en effet les vibrations du sol pour identifier leurs proies, qu’il s’agisse de vers, d’araignées, de scorpions ou même de petits reptiles et mammifères.

Ne vous y trompez pas, le manque de vision ne rend pas ces myriapodes moins dangereux. Le mille-pattes chinois à tête rouge (Scolopendra subspinipes mutilans) dont il est ici question délivre un venin si puissant qu’il peut venir à bout d’une souris en moins de trente secondes.

Cela étant dit, une équipe dirigée par Shilong Yang, biologiste moléculaire à la Northeast Forestry University de Harbin, en Chine, s’est récemment intéressée à la manière dont ces mille-pattes perçoivent la lumière du Soleil sous laquelle ils pourraient s’exposer aux prédateurs tels que des serpents et des oiseaux.

Pour le savoir, les chercheurs ont placé plusieurs de ces mille-pattes dans deux récipients transparents adjacents, dont l’un était entièrement recouvert de ruban adhésif noir. Ils ont ensuite placé une lampe au-dessus des deux récipients pour simuler la lumière solaire et enregistré les mouvements des créatures entre les chambres. Pendant ce temps, une caméra thermique permettait de déterminer comment le corps de ces animaux réagissait à la chaleur de la lumière.

Un signal par les antennes

Chaque fois que les mille-pattes se précipitaient vers la chambre noire, l’imagerie infrarouge révélait que de grandes quantités de chaleur se concentraient le long des antennes enroulées des animaux. Dans les dix secondes suivant leur exposition, les antennes de ces animaux se réchauffaient d’environ 9°C (de 28°C à 37°C).

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Scolopendra subspinipes dans le Parc national de Khao Yai, en Thaïlande. Crédits : Bernard DUPONT

Les chercheurs ont ensuite dissous plusieurs des nerfs sensoriels situés dans les antennes des mille-pattes pour déterminer leur composition chimique. Ces travaux ont mis en valeur un récepteur thermique appelé BRTNaC1. Ce canal ionique, qui pompe des atomes chargés électriquement entre les cellules à travers les antennes, serait déclenché par des températures comprises entre 33°C et 48°C.

Dans leur étude, les chercheurs concluent que lorsque la lumière réchauffe les antennes des mille-pattes, celle-ci déclenche l’activation du récepteur qui entraîne à son tour une réponse physiologique qui alerte les mille-pattes de leur exposition à la lumière. Pour confirmer leur rôle de ces « détecteurs » de lumière, les chercheurs ont recouvert les antennes des arthropodes de papier d’aluminium pour bloquer leur exposition à la lumière. Résultat : les mille-pattes s’éloignaient beaucoup plus souvent de l’obscurité que ceux aux antennes découvertes.

Les chercheurs pensent que les mille-pattes à tête rouge ne sont pas les seuls habitants des litières de feuilles à s’appuyer sur ce type de récepteurs thermiques pour détecter indirectement la lumière à travers la chaleur. Des arthropodes malvoyants tels que les fourmis légionnaires et les coléoptères aveugles pourraient également être concernés.