Comment éviter la mort de milliards de poussins par an

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Une équipe de chercheurs a développé une méthode pour déterminer de manière plus précise le sexe des poussins avant éclosion. Une autre propose quant à elle d’élever des poules génétiquement modifiées pour ne produire que des femelles. Leurs travaux pourraient un jour être applicables dans les grandes exploitations et potentiellement sauver des milliards de poussins mâles d’une mort tragique et inutile.

La production des œufs est l’un des principaux secteurs alimentaires dans le monde. Pour des raisons d’efficacité, les espèces de poulets de chair et de poules pondeuses sont sélectionnées pour la reproduction selon différentes caractéristiques. Chez les pondeuses, les nombres de mâles et femelles qui éclosent sont proches l’un de l’autre. Cependant, la présence de poussins mâles dans la filière est un problème pour les exploitants. En effet, ils ne produisent pas d’œufs et leur élevage pour la chair ne génère aucun profit.

Par conséquent, les poussins mâles sont sélectionnés par des sexeurs et sont abattus dans la foulée par le biais de méthodes contraires à l’éthique : certains sont gazés, quand d’autres sont broyés.

Une projection avec les poussins mâles

En supposant que les poussins mâles ne soient pas séparés par les sexeurs, ces derniers consommeraient beaucoup d’aliments jusqu’à l’abattage. Un coq mange en moyenne cent grammes de nourriture par jour. Dans une ferme de 100 000 poulets, dans le cas où les mâles ne seraient pas séparés, environ 50 000 coqs vivraient dans la ferme et consommeraient environ cinq tonnes de nourriture par jour. En considérant que les coqs mangent un aliment au prix de un euro par kilogramme, 5 000 euros seraient dépensés par jour uniquement pour nourrir les coqs.

Par ailleurs, le revenu reçu après l’abattage sera bien inférieur à la dépense. Si l’on part sur un prix au kilogramme de leur viande à deux euros maximum et que chacun de ces coqs pèse environ deux kilos au moment de l’abattage, alors les revenus au bout de six mois seraient de 200 000 euros (2 euros x 2 kilos x 50 000 coqs) pour 900 000 euros dépensés. Dans cet exemple, on observe donc une perte de 700 000 euros. Sept milliards de poussins mâles sont ainsi abattus chaque année dans le monde pour ces raisons.

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Déterminer le sexe avant éclosion

Le sexe du poussin peut être déterminé avant ou après l’éclosion. Bien entendu, les déterminations faites avant l’éclosion sont plus avantageuses pour l’exploitant et plus humaines pour les oiseaux.

La mesure la plus déterminante dans cette méthode est l’indice de forme des œufs (SI). Il s’agit du rapport du diamètre court au diamètre long. L’œuf des femelles est en effet de forme plus ovale, tandis que l’œuf des mâles est de forme plus pointue. Jusqu’à présent, le taux de prédiction était cependant relativement faible. En outre, les études qui ont utilisé la méthode de l’indice de forme portent principalement sur des canards. Or, les modèles d’œufs de cane ne peuvent pas être appliqués aux œufs de poule en raison de leur morphologie différente.

Il existe d’autres méthodes (fluorescence, spectroscopie Raman, par exemple), mais toutes nécessitent des outils compliqués.

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Œuf de forme ovale pour les poussins femelles (à gauche) et œuf de forme pointue pour les poussins mâles (à droite). Crédits : Nature

Dans le cadre de ces travaux publiés dans Nature, des chercheurs ont testé un modèle de classification rapide des œufs en fonction de leur forme nommé RUSBoost. Les paramètres de masse, petit axe, grand axe, volume, excentricité ont également été intégrés. En tenant compte de toutes ces caractéristiques, les femelles ont été classées correctement à 80 % et les mâles à 81 %. Les chercheurs calculent que nous pourrions ainsi potentiellement éviter la mort inutile de 5,65 milliards de poussins chaque année.

Cette étude a néanmoins une limite : son échantillon. Pour ces travaux, les chercheurs n’ont en effet utilisé qu’une soixantaine d’œufs collectés de manière aléatoire dans des fermes américaines et 47 seulement ont éclos. Ce nombre est relativement faible. Davantage de données seront donc nécessaires pour obtenir des résultats plus probants. Par ailleurs, les œufs prélevés ici provenaient également de races de poules différentes. Or, la forme d’un œuf peut varier selon la race. Les auteurs de l’étude précisent ainsi que le fait de se concentrer sur une seule et même race pourrait potentiellement mener à de meilleurs résultats.

Il n’en reste pas moins que cette étude pourrait à terme aiguiller des décisions politiques. Rappelons que la France et l’Allemagne sont devenues il y a quelques année les premiers pays au monde à mettre fin à l’élimination des poussins mâles dans les filières d’élevage de poules destinées à la production d’œufs. Une telle méthode pourrait donc se révéler très utile.

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L’utilisation de poules génétiquement modifiées

Une autre manière d’éviter l’abattage inutile de milliards de poussins mâles serait de n’avoir que des femelles. Des chercheurs israéliens de l’Institut Volcani ont réussi cette prouesse avec des poules génétiquement modifiées. Pour opérer, l’équipe dirigée par le Dr Enbal Ben-Tal Cohen a utilisé des outils d’édition de gènes.

Dans le détail, voici comment cela fonctionne. Tout comme chez les humains, la détermination du sexe du poulet dépend de la présence ou de l’absence de chromosomes particuliers. Les poulets ont un total de 78 chromosomes disposés en 39 paires. Le sexe est déterminé par la présence de deux chromosomes Z chez les mâles ou d’un chromosome Z et d’un chromosome W chez les femelles.

Les scientifiques ont ici modifié génétiquement le chromosome Z de la poule femelle de sorte que, lorsqu’il est combiné avec le chromosome Z d’un coq, les embryons mâles résultants soient sensibles à la lumière bleue et stoppent leur développement. À l’inverse, les poussins femelles n’y sont pas sensibles et éclosent normalement. Les poussins issus de ces manipulations n’ont par ailleurs pas de matériel génétique supplémentaire, ni les œufs pondus par la suite. Ainsi, les consommateurs obtiendront exactement les mêmes œufs.

Pour cette étude, les chercheurs ont travaillé de concert avec l’organisation britannique de protection des animaux Compassion in World Farming (CIWF). Ils prévoient d’octroyer une licence à la technologie par l’intermédiaire de leur entreprise dérivée, Huminn Poultry. Ces « poules Golda », comme les appellent les chercheurs, pourraient donc un jour s’imposer dans les élevages de poulets, compte tenu des tendances actuelles en matière de bien-être animal.