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Crédits : Ryan von Linden/New York Department of Environmental Conservation/iStock

Comment la disparition de chauves-souris a tué plus de 1300 jeunes enfants

Ces dernières années, on entend beaucoup parler du déclin de la biodiversité mondiale et des dommages critiques que subissent les écosystèmes. Lorsque l’on évoque ces notions, on prédit les implications que cela peut avoir sur les vies humaines. Dans le cas du déclin des pollinisateurs, les effets sur l’agriculture (et donc notre alimentation) fournissent des preuves directes de ces conséquences sur le bien-être humain. Néanmoins, ces conséquences, souvent prédites comme étant graves, restent souvent assez vagues dans nos esprits. Une étude parue tout récemment dans Science en apporte néanmoins un témoignage concret qui met cette fois en scène des chauves-souris.

« Les écologistes nous avertissent que nous perdons des espèces à un rythme effréné… et que cela pourrait avoir des impacts catastrophiques sur l’humanité », explique Eyal Frank, auteur principal de cette nouvelle étude et économiste environnemental de l’Université de Chicago. « Cependant, il n’y avait pas beaucoup de validation empirique de ces prédictions, car il est très difficile de manipuler un écosystème à une très grande échelle spatiale. ».

En juin 2024, avec son collègue Anant Sudarshan, il avait toutefois réussi à souligner l’impact direct du déclin des populations de vautours en Inde ayant conduit à la mort de 500 000 personnes. Ces travaux avaient en effet révélé que l’effondrement des populations d’oiseaux sauvages, qui se nourrissaient auparavant de viande en décomposition, a contribué à la propagation de maladies infectieuses, dont la rage. Cette nouvelle étude montre cette fois comment lorsqu’une maladie mortelle a frappé les chauves-souris mangeuses d’insectes, l’usage d’une plus grande quantité de pesticides pour protéger les cultures a commencé… et conduit à une augmentation de la mortalité infantile.

Une maladie qui affecte les chauves-souris

Pour son travail, Frank a profité de l’apparition soudaine d’une maladie mortelle chez les chauves-souris pour quantifier les avantages que les chauves-souris mangeuses d’insectes apportent en matière de lutte contre les ravageurs. En effet, une maladie hautement contagieuse a dévasté les populations de chauves-souris à travers les États-Unis. Cette crise a commencé en 2006, lorsqu’un champignon appelé Pseudogymnoascus destructans est arrivé en auto-stop d’Europe. Et une fois infiltrée dans une colonie, cette maladie fongique invasive peut anéantir tous les individus en seulement cinq ans.

Ce syndrome du nez blanc a commencé à se propager à travers l’Amérique et à tuer les chauves-souris en les réveillant pendant leur hibernation en hiver, lorsqu’elles manquent d’insectes pour se nourrir et qu’elles essayent de rester au chaud, ce qui épuise leur énergie. Elles affichent aussi toutes un signe distinctif, une sorte de résidu blanc sur leur nez (voir ci-dessous). Et en quelques années, des millions de chauves-souris ont ainsi perdu la vie.

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Crédits : Gabrielle Graeter/NCWRC/Flickr

Des morts de chauves-souris avec des conséquences en cascade

Les chauves-souris mangent 40 % ou plus de leur poids corporel en insectes chaque nuit, y compris de nombreux ravageurs des cultures. Eyal Frank s’est donc demandé quels effets aurait leur disparition et ce syndrome du nez blanc lui a en quelque sorte offert un essai contrôlé randomisé, cette maladie et sa propagation ayant été étroitement surveillées. Le chercheur a pu comparer les comtés qui avaient perdu leurs chauves-souris avec ceux que la maladie n’avait pas encore atteints.

Il a alors découvert que la première année après qu’une zone a été touchée par la maladie, les agriculteurs avaient tendance à pulvériser un kilogramme supplémentaire d’insecticide par kilomètre carré. Après cinq ans, ils pulvérisaient deux kilogrammes de plus qu’avant, soit une augmentation moyenne de 31,1 % pour compenser la perte de chauves-souris. Les taux de fongicides et d’herbicides n’ont quant à eux pas augmenté.

Étant donné le lien entre les pesticides et les mauvais résultats en matière de santé, Frank a ensuite décidé d’examiner si l’utilisation accrue de pesticides était corrélée à des taux de mortalité infantile plus élevés, une mesure couramment utilisée pour juger de l’impact des toxines environnementales. En effet, l’eau et l’air contaminés peuvent servir de voies pour l’entrée des produits chimiques chez les humains. Or, les comtés infectés affichaient alors un taux de mortalité infantile supérieur de 7,9 % en moyenne, et ce, malgré l’utilisation de pesticides dans les limites réglementaires. Cela équivaut donc à 1 334 décès supplémentaires d’enfants en bas âge.

Enfin, entre 2006 et 2017, les agriculteurs des comtés touchés ont perdu 27 milliards de dollars en raison de la baisse des ventes de récoltes et de l’augmentation des coûts des insecticides.

Des résultats difficilement discutables

Frank a souligné que la propagation échelonnée de la maladie de la faune soutient son inférence selon laquelle la mort des chauves-souris a directement causé la flambée de la mortalité infantile. Il ne s’agit donc pas d’une simple coïncidence qui peut être expliquée par d’autres difficultés rurales telles que l’abus de drogues ou la pauvreté. Pour s’en assurer, la nouvelle étude a d’ailleurs testé diverses alternatives pour voir si quelque chose d’autre aurait pu provoquer l’augmentation (chômage, overdoses de drogues, etc.). Toutefois, rien d’autre n’a été trouvé pour en être la cause.

Une leçon pour le futur et des implications

Petits rhinolophes (Rhinolophus hipposideros) chauves souris en hibernation
Crédits : Remus86/iStock

Au vu de ses résultats, le scientifique insiste : « nous avons besoin de meilleures données sur la présence de pesticides dans l’environnement ». Ses conclusions soulignent en outre la difficulté d’évaluer les impacts sur la santé publique de ces produits phytosanitaires lorsqu’ils sont réglementés individuellement.

Son travail montre également la nécessité de protéger les chauves-souris. En effet, des vaccins sont en cours de développement contre le WNS, mais ces animaux sont également menacés par la perte de leur habitat, le changement climatique et les parcs éoliens. Par ailleurs, s’il y a bel et bien des signes que certaines populations de chauves-souris commencent à se rétablir, il pourrait falloir des décennies pour revenir à leur abondance précédente. Or, pendant ce temps, le champignon qui cause le syndrome du nez blanc continue de se propager dans l’ouest des États-Unis, y compris en Californie qui est une région agricole majeure.

Surtout, ce nouveau travail s’ajoute au corpus de preuves montrant les impacts en cascade de la perte de la faune sur les écosystèmes. « Nous prêtons souvent beaucoup d’attention aux extinctions mondiales, lorsque les espèces disparaissent complètement, mais nous commençons à éprouver des pertes et des dommages bien avant cela », conclut à ce titre le Dr Frank.

Vous pouvez consulter l’étude en détail sur ce lien.

Julie Durand

Rédigé par Julie Durand

Autrefois enseignante, j'aime toujours autant partager mes connaissances et mes passions avec les autres. Je suis notamment passionnée par la nature et les technologies, mais aussi intriguée par les mystères nichés dans notre Univers. Ce sont donc des thèmes que j'ai plaisir à explorer sur Sciencepost à travers les articles que je rédige, mais aussi ceux que je corrige.