Quand on pense à l’ère des dinosaures, difficile de ne pas imaginer immédiatement une période où d’énormes créatures dominaient la terre. Toutefois, cela n’a pas toujours été le cas et il a fallu 30 millions d’années à ces gigantesques reptiles pour atteindre enfin le sommet de la chaîne alimentaire . Mais qu’est-ce qui a déclenché cette ascension et comment est-ce arrivé ? Une nouvelle étude sur leurs excréments et vomissements fossilisés (ou plutôt les restes alimentaires retrouvés à l’intérieur) apporte une réponse fascinante.
Si on sait beaucoup de choses sur leur extinction, les processus écologiques et évolutifs qui ont permis leur domination restent en effet encore peu explorés, des lacunes que cette étude vient enfin combler. Et il semblerait que les dinosaures carnivores, comme le T.rex, devraient peut-être remercier leurs prédécesseurs herbivores pour leur taille gigantesque.
L’analyse des os, c’est bien, mais les crottes, c’est très bien aussi (parait-il)
Les os nous en apprennent beaucoup sur les dinosaures. Ils permettent par exemple de reconstruire leurs squelettes, d’imaginer leur apparence, leur mode de vie, les causes de leur mort ou les coups et blessures subis, et leur régime alimentaire. Cependant, il y a beaucoup de choses que les os ne peuvent révéler. Nous ne connaissons pas les détails spécifiques de leur alimentation, la manière dont ils complétaient leur régime ou comment ils se disputaient les ressources.
C’est la raison pour laquelle cette recherche publiée dans Nature le 27 novembre 2024 étudie une variété de bromalites, notamment des coprolithes (excréments fossilisés), des régurgitalithes (vomissements fossilisés) et des cololites (excréments fossilisés restés dans l’intestin au moment de la mort du dinosaure). Ces échantillons ont ensuite subi plusieurs analyses, telles que l’examen visuel, la microtomographie synchrotron et la microscopie électronique à balayage, pour découvrir des détails jusqu’alors inconnus sur les relations entre ces reptiles géants et leur environnement.
« Reconstituer qui mangeait qui dans le passé est un vrai travail de détective », estime Martin Qvarnström, auteur principal de l’étude et membre du département de biologie des organismes de l’université d’Uppsala. « Pouvoir examiner ce que les animaux mangeaient et comment ils interagissaient avec leur environnement nous aide à comprendre ce qui a permis aux dinosaures de réussir. »
Les excréments et vomissements fossilisés de dinosaures analysés en parallèle d’autres données
L’équipe internationale, ici dirigée par des chercheurs de l’université d’Uppsala, a analysé plus de 500 de ces fossiles d’excréments et de vomissements fossilisés de dinosaures (connus de manière plus élégante par les scientifiques sous le nom de bromalites ou coprolithes). Tous provenaient du sud de la Pologne, une région située à l’époque dans la partie nord de la Pangée, et dataient de la fin du Trias au début du Jurassique, soit il y a environ 230 à 200 millions d’années.
Les chercheurs ont ainsi pu en identifier le contenu. Ces résultats ont ensuite été intégrés à d’autres preuves fossiles, telles que des empreintes, des marques de morsures et des données climatiques, afin de reconstruire les anciens écosystèmes. En combinant toutes ces données, l’équipe a pu se faire une idée des animaux et insectes qui partageaient la Terre avec les dinosaures.
Cette approche globale leur a permis de développer un modèle en cinq étapes de l’évolution des dinosaures qui comble des lacunes cruciales dans notre compréhension des trente premiers millions d’années de leur ascension vers la dominance.
Une fenêtre sur les préférences alimentaires diverses des dinosaures
La reconstitution de ces anciennes chaînes alimentaires met surtout en lumière l’adaptabilité alimentaire qui a contribué au succès évolutif des dinosaures. Ces découvertes révèlent en effet une diversité et une souplesse alimentaires essentielles à leur domination ainsi que des habitudes alimentaires surprenantes.
Entre autres surprises, certains excréments contenaient par exemple des écailles de poisson, des petits coléoptères et des squelettes de poissons presque intacts tandis que d’autres contenaient des os mastiqués, ce qui laisse suggérer l’existence de prédateurs broyeurs d’os qui consommaient des carcasses pour en extraire les nutriments, un comportement qui rappelle de manière troublante celui des hyènes modernes.
Les dinosaures herbivores, très aptes à s’adapter
Les dinosaures herbivores montraient également une complexité alimentaire inattendue. Les coprolithes des sauropodes à long cou contenaient une abondance de fougères arborescentes ainsi que d’autres plantes et même du charbon de bois. Les chercheurs émettent l’hypothèse que l’ingestion de ce charbon permettait de détoxifier le contenu de l’estomac, les fougères pouvant produire des substances chimiques nocives pour les herbivores. Cette découverte illustre ainsi l’adaptabilité de ces premiers dinosaures à leur environnement et aux ressources disponibles.
Ce régime alimentaire a pu être facilité par l’augmentation de l’activité volcanique qui a contribué à la diversification des espèces végétales, offrant ainsi davantage de nourriture, ce qui a permis l’apparition de dinosaures herbivores plus grands et plus variés. Cela a également donné un coup de pouce aux carnivores, qui se sont retrouvés face à des proies bien plus imposantes. Et tandis que ces deux groupes devenaient plus grands et plus puissants, les dinosaures ont réussi à gravir les échelons de la domination.
Alors, comment les dinosaures ont-ils prospéré ? Une leçon pour la vie terrestre actuelle
La fin du Trias fut marquée par d’importants bouleversements environnementaux, notamment des changements climatiques et des extinctions massives. Grâce à leur capacité à consommer une grande variété de plantes, les dinosaures herbivores ont montré une résilience et une adaptabilité remarquables qui leur ont probablement donné un avantage évolutif. « Comprendre cette période nous aide à voir comment les premiers dinosaures ont navigué dans des environnements difficiles et réussi là où d’autres espèces ont échoué », affirme le Dr Martin Qvarnström.
L’importance de cette étude va cependant bien au-delà de la paléontologie. En examinant la manière dont les écosystèmes anciens se sont adaptés aux changements environnementaux, les scientifiques peuvent en effet établir des parallèles avec les défis auxquels la biodiversité moderne est confrontée. « Malheureusement, les changements climatiques et les extinctions massives ne sont pas que des problèmes du passé », rappelle Qvarnström. « En étudiant les écosystèmes du passé, nous comprenons mieux comment la vie s’adapte et prospère dans des conditions environnementales changeantes. »
Une ode aux plantes
Grzegorz Niedźwiedzki, co-auteur de l’étude et également chercheur à l’université d’Uppsala, ajoute sur une note plus légère : « Que faire pour ne pas disparaître ? Manger beaucoup de plantes, un peu dans l’esprit du slogan “mangez vos légumes et vivez plus longtemps”, ce qui est exactement ce qu’ont fait les premiers dinosaures herbivores. La clé de leur succès évolutif réside dans un véritable amour pour les pousses vertes et fraîches », une conclusion fascinante qui pourrait bien devenir une arme redoutable pour convaincre les enfants fans de dinosaures de manger leurs légumes.
De l’importance d’étudier des matériaux négligés
L’équipe espère que cette étude riche en enseignement ne sera qu’un début et inspirera d’autres scientifiques. « J’espère que nous pourrons convaincre nos collègues que les coprolithes ne sont pas juste bons pour faire des blagues, mais qu’ils sont également extrêmement intéressants pour reconstituer les anciennes chaînes alimentaires. […] Ce qui m’a le plus fasciné, c’est que nous avons pu utiliser des fossiles apparemment sans intérêt et peut-être même repoussants pour fusionner diverses sources de données et obtenir un aperçu sans précédent de l’écologie et des adaptations alimentaires des premiers dinosaures », s’émerveille Qvarnström.
Niedźwiedzki ajoute à regret que « tout le monde recherche des squelettes fossilisés, mais ce sont les coprolithes qui racontent le mieux les drames d’il y a des millions d’années ». Et bien que le travail soit aussi titanesque que les plus grands spécimens de dinosaures, les chercheurs entendent bien poursuivre leurs recherches dans d’autres régions avec l’espoir de percer les secrets encore inconnus de l’époque des dinosaures grâce à leurs déjections.
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