Une étrange race de chien de chasse venue de Turquie, reconnaissable à son nez fendu, pourrait bien livrer un indice génétique crucial sur une malformation humaine fréquente mais encore mal comprise : la fente labiale et palatine, aussi connue sous le nom de « bec-de-lièvre ». Dans une nouvelle étude publiée en mars 2024 dans la revue Genome Research, des scientifiques du NIH (National Institutes of Health, aux États-Unis) et du KTH Royal Institute of Technology (Suède) ont découvert que le museau si particulier du Braque turc — ou Catalburun, une race ultra rare — est lié à une mutation génétique affectant le gène PDGFRA. Or, ce même gène pourrait aussi jouer un rôle dans certains cas de fentes faciales humaines.
Quand un chien rare révèle un mécanisme clé du développement facial
Les Braques turcs sont facilement reconnaissables à leur truffe divisée en deux narines nettement séparées, une caractéristique que l’on ne retrouve pratiquement dans aucune autre race canine. Longtemps considérée comme une simple curiosité anatomique, cette particularité est désormais étudiée de près par les généticiens.
En analysant l’ADN de près de 2 000 chiens, les chercheurs ont repéré plusieurs mutations influant sur la forme du visage et la taille du chien. L’une d’elles, présente uniquement chez les Braques turcs, modifie le fonctionnement du gène PDGFRA. Ce gène est soupçonné de jouer un rôle fondamental dans la fusion des deux moitiés du visage lors du développement embryonnaire.
« Bien que plusieurs facteurs génétiques et environnementaux soient impliqués dans les fentes faciales humaines, notre étude suggère que PDGFRA pourrait être un acteur clé dans certains cas », explique Peter Savolainen, généticien canin au KTH.
Une maladie humaine fréquente… mais encore mal expliquée
Les fentes labio-palatines touchent environ un nouveau-né sur 700 dans le monde. Il s’agit d’une anomalie de développement de la lèvre supérieure, du palais, ou des deux, qui peut avoir des conséquences sur la respiration, l’alimentation, la parole, ou encore l’audition. La chirurgie permet aujourd’hui de corriger efficacement ces malformations, mais leurs causes restent en grande partie mystérieuses.
Si certains facteurs de risque sont connus — comme le tabagisme ou le diabète pendant la grossesse —, il est rare que l’on puisse identifier un gène unique responsable d’un cas donné. Chez l’humain, la diversité génétique est trop vaste pour permettre ce type de conclusion directe.
C’est là que les chiens entrent en jeu.

Crédit : iStock
Bébé avec une fente avant et après une opération chirurgicale. Crédits : Maos/istockLe chien, modèle génétique inattendu pour la médecine humaine
La plupart des races de chiens de race pure sont fortement consanguines, ce qui rend leurs génomes plus homogènes. Cette homogénéité permet aux chercheurs d’isoler plus facilement les mutations responsables de traits particuliers ou de maladies.
« L’étude de races canines comme le Braque turc est un outil puissant pour identifier des mutations associées à des traits anatomiques précis », explique Savolainen. « Chez l’humain, l’équivalent nécessiterait des cohortes immenses et des technologies bien plus complexes. »
En d’autres termes, ce chien au nez fendu, aussi rare soit-il — seuls quelques centaines d’individus existeraient encore aujourd’hui — pourrait bien fournir une clé génétique précieuse pour comprendre une pathologie humaine commune.

Une piste à explorer, pas encore un remède
Attention toutefois : cette découverte n’implique pas que le gène PDGFRA soit la cause principale des fentes labio-palatines chez l’humain. Elle indique simplement qu’il pourrait être impliqué dans certains cas, et que des recherches plus approfondies sont nécessaires pour comprendre comment cette mutation agit dans le développement embryonnaire.
Mais une chose est sûre : même un chien aussi rare qu’un Braque turc peut jouer un rôle décisif dans la quête de traitements plus efficaces pour des malformations humaines. Une raison de plus pour que la science garde le nez affûté… comme celui du Catalburun.