Une génération réputée pour sa distance face à la technologie serait en train de tomber dans le même piège numérique que ses enfants et petits-enfants. Selon une enquête récente d’AddictionResource.net, les baby-boomers passent désormais plusieurs heures par jour sur leur téléphone, souvent sans s’en rendre compte. Le cliché du “papy qui ne comprend rien à Internet” semble donc appartenir au passé : les plus de 60 ans se connectent, scrollent, likent et binge-watchent — parfois jusqu’à l’excès.
Le smartphone, nouveau compagnon des baby-boomers
Les chiffres sont éloquents : la moitié des baby-boomers interrogés déclarent passer plus de trois heures par jour sur leur téléphone, et près d’un sur cinq y consacre plus de cinq heures. Cette tendance surprend, car elle remet en question le mythe selon lequel la dépendance numérique toucherait surtout les jeunes générations.
L’enquête, menée aux États-Unis auprès de 2 000 personnes âgées de 59 à 77 ans, montre aussi que 40 % d’entre elles se sentent anxieuses lorsqu’elles n’ont pas accès à leur smartphone, et que 50 % le consultent dans l’heure suivant leur réveil. Or, selon AddictionResource.net, repris par Newsweek, le temps d’écran recommandé pour un adulte ne devrait pas dépasser deux heures par jour. Autrement dit, les baby-boomers sont aujourd’hui autant exposés aux effets de la surconnexion — stress, baisse de concentration, isolement social — que les adolescents qu’ils critiquent souvent pour les mêmes raisons.
Mais derrière ces chiffres se cache une réalité plus nuancée : les usages ne sont pas toujours synonymes de futilité. Les seniors utilisent massivement leur smartphone pour communiquer avec leurs proches, suivre leur santé, consulter l’actualité ou entretenir leur vie sociale en ligne. En somme, le téléphone est devenu un prolongement de leur quotidien, et souvent, un remède à la solitude.
Une dépendance émotionnelle plutôt que technologique
Pour Bryan Driscoll, consultant en ressources humaines et expert générationnel, ce phénomène n’a rien d’anodin : « Les baby-boomers passent des heures rivés à leur téléphone, mais ce n’est pas une question de connexion, c’est de l’isolement. » Cette remarque souligne une différence majeure entre les jeunes et les aînés : les premiers utilisent leur téléphone pour exister socialement, tandis que les seconds s’en servent souvent pour rompre le sentiment de solitude.
Le smartphone devient alors un substitut émotionnel : il rassure, distrait, comble le vide. Les applications de messagerie, les réseaux sociaux et même les jeux mobiles participent à ce lien numérique constant avec le monde. En parallèle, cette présence prolongée devant les écrans peut brouiller les repères entre réalité et fiction, et accentuer la vulnérabilité face à la désinformation.
Cette dépendance “affective” au numérique illustre la manière dont la technologie, loin d’être réservée à une génération, agit désormais comme un miroir universel de nos besoins humains : connexion, reconnaissance et appartenance.

Quand l’âge ne protège plus de la surconnexion
Pour Ruth Hernandez, conseillère en santé mentale chez AddictionResource.net, ces résultats prouvent que la dépendance numérique n’est plus une affaire d’âge. Les baby-boomers, autrefois étrangers au monde connecté, se sont adaptés à une vitesse remarquable. Ils gèrent leurs comptes bancaires sur mobile, consultent leurs dossiers médicaux en ligne, regardent des séries sur leurs tablettes… bref, ils vivent connectés.
Cette transition montre que la frontière entre générations s’efface : l’addiction au numérique est devenue une condition universelle de la modernité. Si les jeunes sont nés avec un smartphone en main, leurs parents et grands-parents l’ont adopté comme un outil indispensable pour rester dans le rythme d’un monde hyperconnecté.
Mais cette dépendance a un coût. Elle redéfinit la perception du temps, modifie le rapport à la mémoire et à l’attention, et installe une nouvelle forme de fatigue cognitive, souvent sous-estimée chez les seniors. L’enjeu n’est donc plus de critiquer la technologie, mais d’apprendre à la maîtriser — quel que soit l’âge.
Une révolution silencieuse
En à peine une décennie, le smartphone a effacé l’un des derniers fossés générationnels. Il a uniformisé les comportements, les habitudes et même les dépendances. Ce qui, autrefois, était vu comme un symbole de jeunesse ou de modernité est devenu un simple outil du quotidien — et parfois, une nouvelle source d’addiction.
Les baby-boomers, longtemps considérés comme “déconnectés”, sont désormais aussi vulnérables que les jeunes face à l’appel constant des écrans. Et cette transformation silencieuse dit beaucoup sur notre époque : peu importe l’âge, notre cerveau semble programmé pour chercher la stimulation, la connexion et la récompense immédiate.
Le téléphone n’est plus seulement un outil. C’est un miroir, et dans ce miroir, toute une génération découvre qu’elle n’est pas si différente de celle qu’elle croyait juger.
