Une étude a récemment mis en exergue les étonnantes propriétés du cycle hydrologique lors des climats passés extrêmement chauds de la Terre. Plus précisément, il se trouve que la pluie tombait essentiellement sous forme de déluge. Ces résultats pour le moins inattendus ont été publiés ce 3 novembre dans la revue scientifique Nature.
Dans un passé lointain, par exemple il y a plusieurs centaines de millions d’années, la température moyenne de la Terre était 10 °C à 17 °C plus élevée que celle que nous lui connaissons actuellement. Dans de telles conditions, on suppose que le système climatique devait fonctionner de façon sensiblement différente, en particulier en ce qui concerne le cycle hydrologique.
Entre grand bleu et déluge, un climat en tout ou rien
Mis à part le contexte moyen de grande échelle, les scientifiques savaient peu de choses sur les caractéristiques de ces climats de serre chaude. Grâce aux travaux de chercheurs de l’Université d’Harvard (États-Unis), on sait désormais à quoi ressemblaient les conditions météorologiques au moment des périodes les plus chaudes qu’ait connues notre planète.
Pour mener à bien leur étude, les chercheurs ont utilisé un modèle atmosphérique à très haute résolution et ont augmenté soit l’insolation soit la teneur de l’atmosphère en CO2 jusqu’à porter la température de surface de la mer à plus de 50 °C. La simulation, capable de rendre compte des mouvements orageux de petite échelle, a alors révélé une organisation inattendue du cycle de l’eau mondial.

« Si vous regardez une large zone des tropiques aujourd’hui, il pleut toujours quelque part », explique Jacob Seeley, auteur principal de l’étude. « Toutefois, nous avons découvert que dans les climats extrêmement chauds, il pouvait y avoir plusieurs jours sans pluie nulle part sur une vaste étendue de l’océan. Puis, soudainement, d’énormes torrents de pluie éclatent sur presque tout le domaine, déversant une énorme quantité d’eau. Ensuite, c’est le calme pendant quelques jours et cela se répète ».
En résumé, au lieu d’avoir des zones pluvieuses constamment en activité à un endroit ou un autre du globe, l’atmosphère de ces climats anciens fonctionnait par pulsions. Comment comprendre ce phénomène ?
Un régime analogue aux pulsations d’un oscillateur
Les auteurs expliquent que les températures extrêmes induisent une concentration de vapeur d’eau colossale dans la basse atmosphère, et cela à un point tel que la partie infrarouge du rayonnement solaire est absorbée avant d’atteindre le sol. Cette absorption réchauffe la couche d’air où elle se produit, ce qui va bloquer les mouvements verticaux en créant un profil d’inversion thermique. Au lieu de décroître avec l’altitude, la température augmente sur une certaine épaisseur.
Comme dans une cocotte-minute, la chaleur et l’humidité vont s’accumuler sous la couche d’inversion. Par ailleurs, en altitude, le rayonnement infrarouge terrestre émis vers l’espace refroidit l’atmosphère et donne naissance à des nuages élevés dont les précipitations s’évaporent en atteignant les couches sous-jacentes, refroidissant l’air au-dessus de l’inversion. En concentrant ainsi la chaleur humide en surface et le froid en altitude, l’atmosphère prépare le terrain pour un immense déluge.

« C’est comme charger une énorme batterie », relate Jacob Seeley. « Vous avez une tonne de refroidissement en haut dans l’atmosphère et une tonne d’évaporation et de réchauffement près de la surface, séparés par cette barrière. Si quelque chose peut la faire sauter et permettre à la chaleur et à l’humidité de la surface de pénétrer dans la haute atmosphère froide, cela va provoquer une énorme tempête de pluie ».
L’expression d’un transfert massif et brutal d’énergie
C’est exactement ce que les simulations ont montré. Quand la situation devient déséquilibrée au point de faire sauter la barrière d’inversion, de multiples clusters orageux naissent puis s’organisent en un gigantesque système qui déverse des centaines de millimètres en quelques heures sur le domaine. Le transfert d’énergie entre la basse et la haute atmosphère qui accompagne ce déluge est colossal. De fait, la situation se stabilise rapidement. La pluie cesse, les nuages se dissipent et l’atmosphère redémarre un cycle.
« Bien qu’une augmentation de 30 °C des températures de surface de la mer soit bien supérieure à ce qui est prévu pour le changement climatique d’origine humaine, pousser les modèles atmosphériques en territoire inconnu peut révéler un aperçu de ce dont la Terre est capable », note l’auteur principal de ces travaux. « Cela soulève de nouvelles questions importantes sur l’évolution du climat de la Terre et d’autres planètes sur lesquelles nous allons travailler pendant les nombreuses années à venir », ajoute Robin D. Wordsworth, coauteur du papier.