Climat : et si les ‘points de bascule’ étaient moins catastrophiques que prévu ?

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Crédits : Wikimedia Commons.

De nouveaux travaux basés sur une conception plus réaliste des systèmes naturels appuient l’hypothèse selon laquelle le franchissement d’un ou plusieurs points de bascule ne conduit pas nécessairement à des transitions catastrophiques. Les résultats ont été publiés dans la revue Environmental Research Letters ce 14 mars.

Certains éléments du climat représentent des points de bascule potentiels. Il s’agit de systèmes qui, une fois passé un seuil de réchauffement donné, peuvent subir des changements brutaux et irréversibles aux échelles de temps qui nous concernent. Un exemple emblématique de point de bascule, théâtralisé par le film Le Jour d’après, est l’effondrement de la circulation océanique de l’Atlantique Nord suite à une fonte massive des calottes polaires.

Toutefois, un corpus d’étude grandissant soutient que le concept actuel de point de bascule repose sur une vision trop simple du fonctionnement de la nature. Aussi, les systèmes complexes, dont font partie les environnements naturels, seraient plus résilients aux perturbations qu’on ne le pensait jusqu’à présent. En cause, la dimension hétérogène des systèmes réels ainsi que le détaillent de nouveaux travaux dirigés par l’Université d’Utrecht (Pays-Bas).

L’hétérogénéité des systèmes naturels, une influence majeure sur les propriétés des points de bascule

Les chercheurs illustrent leur propos de la façon suivante : soit deux lacs, l’un de petite taille et l’autre de grande taille. Le second est plus hétérogène, car sa dimension spatiale permet des variations plus importantes au sein du système. Lorsqu’une perturbation est appliquée, par exemple une pollution par les nutriments, le petit lac est rapidement recouvert d’algues tandis que le grand lac a plus de chances de rester en partie épargné. Au lieu de basculer dans son ensemble, ce dernier voit une coexistence entre deux états distincts.

Illustration schématique du concept d’hétérogénéité spatiale et de ses implications. Pour plus de précisions, voir le texte. Crédits : TiPES / HP.

Les éléments présentés ci-dessus de manière très schématique signifient aussi que la transition est largement irréversible dans le cas du petit lac, mais réversible en ce qui concerne le grand lac qui n’a que partiellement basculé. En d’autres termes, l’hétérogénéité permet aux systèmes naturels d’être plus résilients aux perturbations extérieures, plus « souples » dans leur évolution. Ainsi, plus celle-ci sera grande, plus la résilience le sera également. Un exemple basé sur un modèle mathématique plus réaliste est présenté ci-dessous.

points de bascule
Diagrammes de bifurcation illustrant la différence entre le comportement d’un système spatialement homogène à gauche et d’un système spatialement hétérogène à droite. Les lignes en pointillés représentent les états instables et les lignes continues, les états stables. Les couleurs bleu, bleu clair et rouge représentent chacune un état stable pour l’ensemble du système. Enfin, la couleur bleu clair représente un état de coexistence où une partie du système est dans l’état bleu et l’autre dans l’état rouge. Notez le comportement plus « souple » du système hétérogène, avec des transitions moins brutales entre deux états stables. Crédits : R. Bastiaansen & coll. 2022.

Cependant, si les résultats obtenus suggèrent que le franchissement d’un ou plusieurs points de bascule ne conduit pas nécessairement à des transitions catastrophiques, ce qui en soi est plutôt une bonne nouvelle, il reste que nous devons tout faire pour éviter de tenter l’expérience. En effet, l’absence d’un scénario hollywoodien ne signifie pas pour autant l’absence de conséquences fortes, difficiles à anticiper.

« Je suis toujours préoccupé par les points de bascule », relate Robbin Bastiaansen, auteur principal de l’étude. « Des choses critiques pourraient se produire, surtout si le changement climatique persiste, mais je ne suis pas inquiet du fait qu’une fois un point de bascule franchi, tout va immédiatement partir en vrille. Je pense que cela va être beaucoup plus subtil que le genre de récit qui a été dépeint dans certains articles sur les limites planétaires : que dès que nous franchissons un point de basculement, tout s’effondre simultanément. Je ne pense pas que ce soit le cas ».