L’étude de la littérature scientifique destinée à l’évaluation du ratio bénéfices – risques de la cigarette électronique a toujours été déroutante. En effet, entre les conclusions contradictoires, les suspicions de lobbying de la part de l’industrie du tabac et du vapotage (dans un sens comme dans l’autre) et les durées réduites, parfois anecdotiques, du suivi des participants laissent perplexes.
Depuis son invention, il y a une vingtaine d’années, par un pharmacien chinois, la cigarette électronique n’a toujours pas fait l’unanimité, ni sur son efficacité et innocuité dans la lutte contre le tabagisme, ni sur sa dangerosité. Comme vous allez le constater, et à l’exception de rares (petites) percées, les études les plus récentes n’ont pas véritablement fait avancer le débat… Contrairement aux positions des autorités sanitaires qui semblent se diriger vers une politique de « moindre mal » au regard de l’absence de certaines substances nocives résultant de la combustion du tabac.
Revue des conclusions des dernières études sur la cigarette électronique
Commençons ce tour d’horizon par l’étude la plus récente (février 2021), réalisée par les chercheurs de l’Université de Caroline du Nord. Actualité oblige, ce travail de recherche s’est intéressé à la réponse immunitaire des vapoteurs face aux virus. Conclusion : il semblerait que la cigarette électronique induit des modifications de la muqueuse nasale, altérant la libération de cytokines et de chimiokines et altérant donc la défense antivirale respiratoire de l’hôte. Mais cette étude souffre d’un biais très répandu dans ce type de travail : les chercheurs ne précisent pas si les participants, vapoteurs actuels, sont d’anciens fumeurs… Ce qui est très souvent le cas.
Une autre étude, elle aussi publiée en février 2021, s’est intéressée aux arômes des e-liquides vapotés. Ce travail de recherche publié dans l’America Journal of Physiology – Lung Cellular and Molecular Physiology, explique que certains arômes sont plus nocifs que d’autres, réduisant considérablement la capacité des cellules du système immunitaire à éliminer les bactéries et à réguler l’inflammation. Selon l’étude, les arômes les plus nocifs seraient le chocolat et la banane, qui affichent des niveaux plus élevés d’un composant chimique appelé « anneau benzénique ». Toutefois, les arômes en questions peuvent être « allégés » pour réduire la concentration de cette substance. C’est le premier travail de recherche qui a comparé les arômes des e-liquides et leur degré de nocivité.
Intéressons-nous à présent à ce rapport ambitieux réalisé par un groupe de toxicologues mandaté par le gouvernement britannique (septembre 2020). Ce document vient couronner une étude de plus d’un an qui s’est attelée à évaluer la dangerosité des e-liquides vapotés. Voici les principales conclusions à retenir sur ce travail de recherche qui devrait constituer une nouvelle base pour de nombreuses études à venir :
- Les auteurs estiment que la question de la nocivité relative des arômes a été sous étudiée. C’est d’ailleurs ce qui a inspiré l’étude dont vous nous parlions plus haut.
- Les auteurs expliquent (à nouveau) qu’en l’état actuel des connaissances, et malgré le fait que la cigarette électronique soit sur le marché depuis plus d’une dizaine d’années, l’évaluation de ses effets à long terme reste impossible.
- Le propylène glycol (PG) et la glycérine végétale, omniprésents dans les dispositifs de vapotage, sont « peu préoccupants ». En effet, le rapport explique que la toxicité de l’exposition au PG est « extrêmement faible ». Cette substance « n’est pas considérée comme génotoxique ou cancérigène ». En revanche, les effets de l’exposition répétée au PG sur le long terme ne peuvent être précisément évalués en l’état actuel des connaissances.
- L’exposition des non-fumeurs et non vapoteurs au PG « n’est pas susceptible de représenter une préoccupation pour la santé ».
- Enfin, le rapport explique que le vapotage en lui-même pouvait produire des substances chimiques à l’origine absentes du e-liquide. Il recommande l’intégration de ces substances « étrangères » dans les compositions chimiques des produits commercialisés.
Enfin, une étude réalisée par la Boston University début 2021 s’est penchée sur la toxicité cardiovasculaire de la cigarette électronique. Pour ce faire, les chercheurs ont exploité des données de 2014 issues d’un précédent travail de la Population Assessment of Tobacco and Health (PATH). Conclusion : n’a été noté « aucune différence dans la concentration des biomarqueurs de stress inflammatoire ou oxydatif entre les participants qui ont utilisé des e-cigarettes et les non-utilisateurs ».
La cigarette électronique et l’énorme malentendu de la pneumonie Evali
« Evali » est le nom d’une pneumopathie qui a émergé aux États-Unis, notamment à New York et au Texas, qui débute généralement comme une pneumopathie aiguë résistante à l’antibiothérapie. Une épidémie a été enregistrée en septembre 2019, suivie d’une enquête par les autorités sanitaires américaines. Il a très vite été établi que l’écrasante majorité des patients avait des antécédents de vapotage. Au 18 février 2020, 2 807 cas étaient signalés dans 29 États américains, avec 68 décès. Dans un premier temps, la cigarette électronique a été épinglée, conduisant à des interdictions en cascade.
Quelques jours plus tard, il a été démontré que la grande majorité des patients avaient en réalité consommé du tétrahydrocannabinol ou THC, qui est le principe actif du cannabis. De plus, les e-liquides consommés étaient frelatés. D’autres patients ont également consommé un e-liquide qui, en plus d’être frelaté, contenait des substances illicites comme l’acétate de tocophérol (ou acétate de vitamine E) et de cannabinoïdes. Nous sommes dans un cas de mésusage et d’utilisation de produits périmés. C’est ce qu’a d’ailleurs rappelé l’Académie nationale de médecine dans un communiqué : « L’épidémie américaine d’atteintes pulmonaires est due à un détournement de son usage car, après avoir mis en cause le vapotage en tant que tel, le CDC et la FDA reconnaissent que ce détournement est la cause principale de cette épidémie ».
Cigarette électronique : un changement de paradigme auprès des autorités sanitaires françaises ?
Dans les pays de l’Union européenne, la cigarette électronique n’a pas été aussi liée aux polémiques sur son usage. Il faut dire que la majorité des pays avaient pris des dispositions juridiques strictes pour encadrer les dispositifs de vapotage depuis leur démocratisation, à la fin des années 2000. Des pays comme les États-Unis, la Thaïlande, l’Inde ou encore le Brésil ont cumulé les rétropédalages, avec des restrictions allant du drastique à l’allégé, pour ensuite repartir sur une interdiction franche dans certaines régions, notamment les États de New York et du Michigan du côté du pays de l’Oncle Sam après l’épisode de la pneumonie Evali.
En France, les autorités sanitaires semblent désormais adopter un discours plus pragmatique, sans doute après la constatation du rôle joué par la cigarette électronique dans le sevrage tabagique de centaines de milliers d’anciens fumeurs. Ce constat a été quantifié et chiffré par Santé publique France, comme nous allons le voir plus bas. Aussi, les autorités sanitaires françaises semblent se diriger vers un encadrement strict de la composition chimique des e-liquides autorisés à la commercialisation sur le territoire ainsi que vers un alourdissement des sanctions pour les boutiques spécialisées et les sites en ligne qui vendent des dispositifs de vapotage aux mineurs.
Que dit la loi sur la cigarette électronique en France ?
Dans l’Hexagone, aucune interdiction de vente des dispositifs de vapotage n’est à l’ordre du jour. La législation qui encadre le vapotage est calquée sur celle du tabac, avec une interdiction de vapoter dans les établissements scolaires, dans les transports en commun, etc. Ces restrictions ont été promulguées dès octobre 2017, sous le gouvernement Édouard Philippe. Des allègements ont été consentis à mesure que le rôle de la cigarette électronique dans le sevrage tabagique s’affirmait empiriquement, c’est-à-dire sur le terrain. Ainsi, il est autorisé de vapoter dans certains lieux publics comme les stades, les bars et les restaurants, sous décision du propriétaire (règlement intérieur) ou avec un arrêté municipal.
La position de l’Académie nationale de médecine
L’avis des « Sages » a toujours influencé les décisions politiques en matière de santé publique. Il faut dire que l’Académie nationale de médecine, qui est issue de l’ancienne Académie royale de médecine (1820) et de l’Académie royale de chirurgie (1731), joue un rôle de conseiller de premier plan en matière de politique de santé, tout en émettant des avis ou communiqués sans sollicitation préalable, pour diffuser les résultats d’études notamment. L’Académie des « Sages » est à la fois financée par le budget de l’État et par des fonds propres.
C’est dans ce cadre que l’Académie nationale de médecine s’est prononcée, dès 2015, pour l’intégration de la cigarette électronique dans la stratégie gouvernementale de lutte contre le tabagisme, au même titre que les patchs à la nicotine par exemple. L’Académie nationale de médecine a repris la parole fin 2019 sur ce sujet, d’abord pour mettre en garde les décisionnaires contre la « désinformation » qui a entouré l’épisode « Evali » aux États-Unis, puis pour réitérer sa position sur l’apport de la cigarette électronique dans la lutte contre le tabagisme en France, chiffres à l’appui.
Ainsi, dans un communiqué intitulé « L’Académie nationale de médecine rappelle les avantages prouvés et les inconvénients indûment allégués de la cigarette électronique (vaporette) », l’Académie de médecine critique ouvertement la position de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) à la suite de l’épidémie de pathologies pulmonaires Evali localisée aux États-Unis. « Sans argumenter, l’OMS qualifie la cigarette électronique d’indiscutablement nocive ».
Pour l’Académie nationale de médecine, le propos n’est pas de trancher sur la nocivité de la cigarette électronique. Il est en effet évident que l’inhalation de substances aromatisées et de nicotine ne rejoint pas vraiment la définition de la santé et du bien-être au quotidien. En revanche, la vaporette est de facto moins dangereuse que la cigarette traditionnelle au regard de sa composition chimique qui fait fi du goudron, du monoxyde de carbone et d’autres substances toxiques et potentiellement cancérigènes. Pour l’Académie nationale de médecine, c’est une politique de moindre mal qui doit être suivie. La cigarette électronique ne peut être « évaluée » sans comparaison avec la cigarette traditionnelle qu’elle est censée remplacer temporairement, pour un sevrage progressif.
La position de la Haute autorité de santé (HAS)
La Haute autorité de santé (HAS) remplit quatre principales missions :
- L’évaluation des produits, actes, prestations et technologies de santé,
- La formulation de recommandations de santé publique, de bonnes pratiques cliniques et prises en charge pour les professionnels de la santé mais aussi les patients,
- L’aide à la décision des pouvoirs publics,
- La certification des établissements de santé et l’accréditation des praticiens de certaines disciplines médicales.
La Haute autorité de santé (HAS) adopte une position plus nuancée, mais ne s’oppose pas frontalement et catégoriquement à la cigarette électronique en tant que dispositif d’aide à l’arrêt du tabac. Dans son guide « Questions réponses sur le sevrage tabagique », on peut par exemple lire : « La HAS ne recommande pas la cigarette électronique comme outil de l’arrêt du tabac, mais considère que son utilisation chez un fumeur qui a commencé à vapoter et qui veut s’arrêter de fumer ne doit pas être découragée ». Plus loin, dans la partie des méthodes recommandées par la HAS pour l’arrêt du tabac, l’organisme explique que si la cigarette électronique « ne peut être recommandée » car « son efficacité et son innocuité n’ont pas été suffisamment évaluées » en l’état actuel des connaissances, « son utilisation temporaire par le fumeur qui souhaite arrêter de fumer ne doit pas être déconseillée ».
Aussi, et même si là encore, des précautions linguistiques sont prises, la HAS admet l’hypothèse selon laquelle la cigarette électronique contient moins de substances toxiques que la cigarette traditionnelle. « La cigarette électronique, avec ou sans nicotine, n’est pas un produit de consommation anodin, car, même si elle en comprend moins que la cigarette traditionnelle, elle contient aussi des produits toxiques ». Cette affirmation rejoint la politique du moindre mal prônée par l’Académie nationale de médecine.
L’apport de l’Agence nationale de sécurité des aliments (ANSES)
Pour apporter une réponse pertinente et pragmatique à la problématique de la traçabilité des e-liquides vapotés en France, l’ANSES a mis en place un outil gratuit et accessible à tous qui recense la composition chimique de tous les produits de vapotage autorisés dans l’Hexagone. Par cette démarche, l’ANSES souhaite éliminer les conditions qui ont conduit à l’apparition de la pneumonie EVALI dans certains États américains.