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Crédits : Jianmei Wang/istock

En Chine, une mégarivière artificielle vise à sauver le Nord de la sécheresse

La Chine fait face à un défi majeur : la pénurie d’eau dans ses régions septentrionales. Bien que le sud soit relativement bien pourvu en ressources hydriques, le nord, où vit près d’un tiers de la population du pays, souffre de sécheresses chroniques. Pour répondre à cette crise, la Chine a lancé un projet ambitieux : le transfert d’eau Sud-Nord (SNWTP), destiné à acheminer chaque année des milliards de mètres cubes d’eau du sud vers le nord. Cependant, ce mégaprojet d’ingénierie soulève des questions complexes tant sur le plan social et environnemental qu’économique.

Un projet historique né d’une crise hydrique persistante

Le problème de la gestion de l’eau en Chine remonte à plusieurs décennies. Bien que le pays soit vaste, il connaît une répartition inégale de ses ressources hydriques. Le sud est relativement humide et bénéficie de grandes rivières comme le Yangtze tandis que le nord, notamment la région de Pékin, souffre de sécheresses sévères et fréquentes. La situation s’est aggravée à mesure que la population a augmenté et que les besoins en eau pour l’agriculture, l’industrie et les villes ont explosé.

L’idée de transférer l’eau du sud vers le nord a été évoquée pour la première fois dans les années 1950 par Mao Zedong. Ce dernier aurait suggéré que le sud, riche en eau, pourrait prêter une partie de ses ressources au nord. Toutefois, ce n’est que dans les années 1990, avec l’essor économique et démographique de la Chine, que le projet de transfert d’eau Sud-Nord est devenu une priorité pour les autorités chinoises. L’objectif était de garantir un approvisionnement en eau durable pour les grandes agglomérations du nord, notamment Pékin, et d’assurer la croissance continue du pays.

Mise en œuvre du projet : une ingéniosité technique

Le projet de transfert d’eau Sud-Nord repose sur une ingénierie de grande envergure. L’eau est transportée par un réseau complexe de canaux et de chenaux artificiels, conçu pour exploiter la gravité et acheminer l’eau depuis le bassin versant du Yangtze, l’un des plus grands fleuves de Chine. Le projet se divise en trois grands axes : la route occidentale, la route médiane et la route orientale, chacun détournant l’eau depuis différentes sections du fleuve pour répondre aux besoins spécifiques des zones desservies.

Les deux premières routes, l’orientale et la médiane, ont commencé à fonctionner dès 2013 et 2014. Grâce à ces infrastructures, des millions de personnes, notamment dans la plaine de Huang-Huai-Hai et à Pékin, bénéficient désormais de l’eau transportée par le projet. En 2024, il est estimé que près de 185 millions de Chinois ont déjà accès à cette eau, ce qui contribue à atténuer la crise dans les zones urbaines du nord du pays.

Cependant, la route occidentale, la plus complexe, est encore en phase de planification à la fin de l’année 2024. Ce retard est lié à des préoccupations écologiques et géopolitiques, notamment les tensions possibles avec des pays voisins comme l’Inde qui pourraient être affectés par la réduction des débits des rivières partagées.

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Le barrage des Trois Gorges. Ce dernier a plusieurs fonctions qui facilitent le transfert d’eau du sud vers le nord, notamment la régulation du débit du Yangtze. Crédits : prill/iStock

Les défis sociaux, environnementaux et économiques du projet

Bien que le projet SNWTP soit un exploit d’ingénierie, il n’est pas exempt de controverses et de défis. Le coût de l’initiative est par exemple astronomique. Le projet est estimé à 71 milliards de dollars, ce qui représente environ 1 % du PIB chinois. Cela inclut la construction des infrastructures, l’entretien et les investissements futurs. Une telle somme soulève des questions sur la durabilité économique du projet à long terme, surtout dans un contexte de changement climatique qui pourrait affecter les rendements agricoles et les besoins en eau.

Un autre aspect critique du projet concerne les impacts sociaux. Plus de 440 000 personnes ont dû être déplacées pour faire place aux infrastructures nécessaires à la construction des canaux et stations de pompage, en particulier pour les lignes orientales et centrales. Le déplacement forcé de ces populations a engendré des tensions sociales et des difficultés économiques pour ceux qui ont perdu leur terre et leur maison.

Enfin, les effets environnementaux du projet ne sont pas négligeables. Des études ont révélé une dégradation de la qualité de l’eau dans les réseaux fluviaux voisins et une perte significative de biodiversité aquatique. La réduction de l’eau dans certaines rivières a diminué l’abondance des poissons et perturbé les écosystèmes locaux. Bien que les autorités chinoises affirment que ces impacts sont gérés, la question de l’équilibre entre développement humain et préservation de l’environnement reste une préoccupation.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.