Entre une géologie mystérieuse composée de monts sous-marins qui s’élèvent à des hauteurs impressionnantes ou de canyons colossaux et d’espèces animales ou végétales des profondeurs particulièrement intrigantes, les fonds marins n’ont pas encore révélé tous leurs secrets passionnants. Les chercheurs s’activent donc pour lever le voile sur les secrets qui se cachent dans les eaux sombres des mers et océans. Une étude récente menée par une équipe internationale a d’ailleurs récemment apporté sa pierre à l’édifice en dévoilant plus d’une centaine d’espèces animales plus étonnantes les unes que les autres au large des côtes du Chili.
Les monts sous-marins : des zones importantes pour les formes de vie aquatiques
Les chaînes montagneuses sous-marines jouent un rôle clé dans la connectivité et tous les processus à l’œuvre au cœur des océans. Les caractéristiques complexes des monts qui s’élèvent des profondeurs de la mer ont en effet une influence directe sur la vie qui s’y développe. Ils s’imposent ainsi comme des oasis de vie pour des communautés sous-marines qui y trouvent aussi bien de la nourriture qu’un foyer et une attache solide où s’accrocher.
Les crêtes marines de Salas y Gómez, Nazca ou encore Juan Fernandez ne font pas exception. Issus de l’activité volcanique dans cette zone, ces monts s’étendent sur près de 2 900 kilomètres dans le sud-est de l’océan Pacifique, rivalisant ainsi en largeur avec l’Amérique du Sud, qu’ils côtoient perpendiculairement d’ailleurs. Cette région est isolée par la fosse océanique du Pérou-Chili (ou fosse d’Atacama, une fosse océanique dans la croûte terrestre), le courant de Humboldt qui longe les côtes américaines et une zone de minimum d’oxygène très large. Toutes ces particularités et influences font que ces crêtes sont des hauts lieux de la biodiversité sous-marine avec un endémisme parmi les plus élevés du monde. En effet, la moitié des espèces qui y vivent n’existent nulle part ailleurs.
C’est dans cette région qu’une centaine de nouvelles espèces incroyables ont été découvertes.
Des espèces inédites découvertes au large du Chili
Accompagnés de scientifiques issus d’universités américaines et chiliennes, les experts du Schmidt Ocean Institute explorent les plus de deux cents sommets qui s’étendent du large des côtes du Chili et du Pérou aux Îles de Pâques. Pendant son expédition du 8 janvier au 11 février 2024, cette équipe internationale a pu étudier les monts sous-marins à l’intérieur et à l’extérieur de la juridiction chilienne grâce à un robot sous-marin qui est descendu à des profondeurs allant jusqu’à près de 4,6 km pour rechercher des formes de vie uniques.
Ils ont ainsi pu identifier des espèces de coraux des grands fonds, d’éponges siliceuses, d’oursins, d’amphipodes ou encore de homards trapus jusqu’alors inconnus de la science. Le Dr Javier Sellanes exulte : « Nous avons largement dépassé nos espérances lors de cette expédition. On s’attend toujours à trouver de nouvelles espèces dans ces zones reculées et mal explorées, mais le nombre que nous avons trouvé, en particulier pour certains groupes comme les éponges, est hallucinant ».
Vous pouvez entrevoir les espèces très colorées découvertes par l’équipe dans la vidéo qui se trouve ci-dessous :
Un travail de longue haleine, mais essentiel attend encore les chercheurs
Toutes ces découvertes sont prometteuses. Néanmoins, comme le rappelle le Dr Jyotika Virmani, le directeur exécutif du Schmidt Ocean Institute, « l’identification complète des espèces peut prendre des années et le Dr Sellanas et son équipe ont un nombre incroyable d’échantillons de ce haut lieu de biodiversité extraordinairement beau. L’Institut est en partenariat avec le programme Ocean Census de la Nippon Foundation et Nekton qui vise à trouver 100 000 nouvelles espèces dans les dix prochaines années et, une fois identifiées, ces nouvelles espèces en feront partie. » Lancée le 24 février, la deuxième expédition le long de la crête Salas y Gomez (avec des diffusions en temps réel sur la chaîne YouTube de l’Institut) ira explorer des zones situées à plus de 600 mètres de profondeur. Les recherches de nouvelles espèces se poursuivront par ailleurs tout au long de l’année 2024 dans les eaux chiliennes et péruviennes.
Ce travail est toutefois très important. Comme le rappelle le communiqué du Schmidt Ocean Institute qui présente l’expédition : « Avec moins de 1 % des monts sous-marins terrestres cartographiés et échantillonnés, cette recherche aidera les scientifiques à comprendre comment les humains et les forces océaniques influencent la vie sur certains des monts les moins étudiés du Pacifique sud-est. Les communautés qui y vivent incluent généralement des invertébrés qui vivent longtemps, grandissent et se reproduisent doucement, et aux habitats fragiles. Cela rend les monts sous-marins particulièrement sensibles à l’exploitation humaine ».
Rappelons à ce titre qu’en 2016, le Chili avait banni la pêche au chalut de fond au niveau de ces zones montagneuses océaniques. Cette méthode de pêche très controversée et destructrice, où un filet racle les fonds marins pour attraper les poissons et crustacés (non sans détruire les habitats et coraux au passage), laissait en effet craindre des effets dévastateurs sur la faune et la flore marines vulnérables qui s’y trouvent. Le présent travail d’exploration visera d’ailleurs aussi à étudier comment l’écosystème local se remet depuis l’interdiction du chalut de fond. Notez par ailleurs que cette région est riche en minéraux naturels (notamment le cobalt). Or, cela pourrait intéresser des entreprises désireuses de les extraire pour faire de l’exploitation minière. Toutefois, caractériser les espèces fragiles sur place permettra de mieux les protéger juridiquement des différents dangers qui pourraient les viser et d’œuvrer ainsi à leur conservation.