Les grands requins sont souvent considérés comme des prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire qui dominent les océans. Cependant, une étude récente menée par des chercheurs de l’Université d’État de l’Arizona a révélé des interactions complexes et parfois surprenantes entre ces grands prédateurs. En documentant pour la première fois un cas de prédation sur un requin-taupe commun, une espèce en danger, les chercheurs ont mis en lumière des comportements rarement observés qui pourraient avoir des répercussions importantes sur l’écosystème marin.
Découverte d’un cas de prédation inédit
L’observation inédite de la prédation d’un requin-taupe commun, également appelé requin maraîche, marque une avancée significative dans notre compréhension des interactions entre les grands requins. Les chercheurs impliqués dans l’étude les avaient équipés de plusieurs types de balises satellites pour suivre leurs mouvements et collecter des données concernant la profondeur et la température. Parmi les spécimens marqués, une femelle enceinte de 2,2 mètres a été suivie pendant 158 jours, naviguant principalement entre 100 et 800 mètres de profondeur dans des eaux tempérées.
Cependant, à la surprise des chercheurs, les données ont révélé un changement soudain le 24 mars 2021 : la température mesurée par la balise est restée constante à 22 °C pendant quatre jours consécutifs, à des profondeurs allant de 150 à 600 mètres. Ces observations ont conduit les scientifiques à conclure que la femelle requin avait été attaquée et dévorée par un prédateur plus gros, capable de réguler sa température corporelle. Une fois ingérée, la balise a ensuite été excrétée par le prédateur, permettant aux chercheurs de récupérer les données.

Identification des suspects : deux grands prédateurs en lice
Deux prédateurs étaient susceptibles d’avoir attaqué la femelle requin-taupe : le grand requin blanc (Carcharodon carcharias) et le requin-taupe bleu (Isurus oxyrinchus). Ces deux espèces sont en effet suffisamment grandes et dotées de capacités endothermiques pour maintenir une température corporelle élevée, ce qui les rend aptes à chasser de grands requins comme les taupes maraîches.
Les requins-taupes bleus, bien que présents dans les mêmes zones, se nourrissent généralement de céphalopodes, de petits poissons et d’autres requins plus petits. Ils sont également connus pour leur capacité à plonger rapidement entre la surface et les profondeurs pendant la journée.
Le grand requin blanc, réputé pour ses habitudes alimentaires variées, se nourrit quant à lui de mammifères marins tels que les phoques et les dauphins, ainsi que de grands poissons et d’autres requins. Les chercheurs ont déterminé que le comportement observé par la balise correspondait davantage à celui d’un grand requin blanc, éliminant ainsi le requin-taupe bleu comme suspect probable.
Ce cas de prédation met ainsi en lumière le fait que même les grands requins peuvent être vulnérables à d’autres prédateurs de taille similaire.
Implications pour la conservation et l’écosystème marin
La découverte de la prédation d’un requin-taupe commun, une espèce déjà en danger en raison de la surpêche, de la dégradation de l’habitat et des prises accessoires, soulève des questions importantes sur les dynamiques entre prédateurs marins. En perdant une femelle enceinte, la population de requins-taupes communs subit non seulement la perte d’un individu reproducteur, mais aussi celle de ses futurs petits. Cela pourrait aggraver la situation des populations de requins-taupes communs qui peinent déjà à se rétablir en raison de leur faible taux de reproduction.
Les chercheurs soulignent l’importance de poursuivre les études sur les interactions entre grands prédateurs pour mieux comprendre leurs effets en cascade sur l’écosystème marin. La compétition et la prédation entre grands requins pourraient avoir des conséquences plus profondes que celles observées jusqu’à présent, influençant la structure des populations de proies et la dynamique globale des océans.
En somme, cette étude offre un nouvel éclairage sur les interactions complexes et souvent inattendues entre les grands requins. Elle souligne également l’importance de la technologie de suivi pour révéler les comportements cachés des créatures océaniques, ouvrant la voie à de nouvelles découvertes et à une meilleure gestion de la conservation des espèces menacées.
