Changement climatique : deux effets inattendus touchent de plein fouet les ours polaires

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Crédits : Evgeny555/iStock

Les ours polaires subissent de plein fouet le changement climatique, car la fonte rapide de la banquise en lien avec la hausse des températures réduit leur habitat naturel. En conséquence, cela limite leur accès aux phoques, leur principale source de nourriture, et les oblige à parcourir de plus grandes distances à la recherche de proies. En conséquence, leur population décline, les taux de reproduction diminuent et ils deviennent plus vulnérables à la famine, ce qui met leur survie en danger.

Et si nous avons tous en tête ces tristes images d’ours blancs horriblement amaigris sur la banquise arctique en tête, deux études nouvellement publiées alertent sur deux effets jusqu’ici méconnus du réchauffement climatique qui risquent d’affaiblir encore plus ces grands mammifères au pelage blanc, d’une part en blessant leurs pattes et d’autre part en augmentant leur exposition à des agents pathogènes dangereux.

Les ours polaires, blessés au niveau des pattes par la glace

En 2022, des chercheurs de l’Université de Washington avaient découvert des lacérations, une perte de poils anormale, une accumulation de glace et des ulcérations cutanées principalement les pattes, mais aussi d’autres parties du corps chez deux populations d’ours polaires adultes au Canada et au Groenland. Sur la population canadienne, plus de la moitié présentait par ailleurs des blessures aux pattes contre un sur huit au Groenland, ce qui reste très élevé. Certains avaient même des blocs de glace qui s’étalaient sur jusqu’à trente centimètres de diamètre collés à leurs coussinets, ce qui entraînait des coupures profondes et gênait leur marche.

« Je n’avais jamais vu cela auparavant », affirme Kristin Laidre, auteure principale de l’étude, professeure et scientifique à l’Université de Washington. « Lorsqu’on les immobilisait, nous retirions très soigneusement les boules de glace. Les morceaux n’étaient pas seulement coincés dans les poils. Ils étaient scellés à la peau et en palpant les pieds, il était évident que les ours souffraient. »

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Les pattes arrière d’un ours polaire temporairement anesthésié au Groenland, en 2022, avec de gros morceaux de glace gelés sur ses pieds. Crédits : Kristin Laidre/Université de Washington

Expliquer ces blessures chez les ours blancs

L’équipe a donc décidé de documenter et d’enquêter plus en profondeur sur ce phénomène étrange. Dans leur nouvelle étude publiée le 22 octobre dans le journal Ecology et visant à résoudre le mystère des boules de glace des ours polaires, Laidre et ses collègues avancent trois hypothèses possibles pour cette augmentation de l’accumulation de glace, toutes liées au réchauffement climatique. « La glace de mer a moins de neige à la fin du printemps et en été, et la neige qui existe fond plus tôt, de façon épisodique, et la pluie est plus fréquente. Tous ces éléments peuvent créer des conditions de surface difficiles pour les ours polaires », explique la chercheuse Melinda Webster.

Les pluies sur neige créeraient ainsi de la neige humide et boueuse qui s’agglutinerait sur leurs pattes, puis gèlerait solidement lorsque les températures chutent. Il existe toutefois une deuxième possibilité qui est que des épisodes de chaleur fréquents font fondre la neige de surface qui se recongèle ensuite en une croûte dure. Très lourds, les ours polaires briseraient cette croûte glacée en se déplaçant, ce qui blesserait leurs pattes sur ses bords tranchants. Enfin, les deux populations habitent des zones de glace rapide, des endroits reliés à la terre où les glaciers d’eau douce rencontrent l’océan. Le réchauffement dans ces environnements conduit ainsi à une glace de mer plus mince, ce qui permet à l’eau de mer d’infiltrer la neige. Cette neige humide se figerait alors sur les pattes des ours, provoquant au passage des blessures.

Un phénomène récent

Aidés par les populations de chasseurs indigènes, les chercheurs surveillent ces deux populations d’ours polaires depuis les années 1990. Cependant, ils n’ont jamais observé ce type de blessures auparavant, ce qui indique qu’il s’agit d’un phénomène très récent et inquiétant. Habitués à naviguer sur des terrains glacés, les ours blancs ont de petites bosses sur leurs coussinets qui leur permettent d’adhérer aux surfaces glissantes. Ces bosses, plus grandes que celles des ours bruns et noirs, facilitent paradoxalement l’accumulation et le gel de la neige humide sur leurs pattes. Ce problème est par ailleurs également fréquent chez les chiens de traîneau dans le nord, ainsi que chez les chiens Terre-Neuve dans les Rocheuses.

Bien que les ours soient sans aucun doute affectés par ce nouveau défi, les chercheurs restent prudents et évitent de tirer des conclusions sur leur santé globale et les conséquences à long terme de ces blessures. Ce problème nouvellement apparu constitue toutefois évidemment un appel clair à l’action pour la communauté scientifique et les décideurs politiques, et démontre les impacts plus nuancés du changement climatique. Cela souligne aussi l’importance de recherches approfondies pour prédire les impacts de ces nouvelles blessures ainsi que d’autres conséquences imprévues du réchauffement climatique.

Ce qui est sûr, c’est qu’à mesure que le changement climatique continue de modifier la surface de la mer arctique (que ce soit par plus de pluie, moins de neige ou une fonte plus rapide que d’habitude), cela affecte les conditions dans lesquelles les ours polaires se déplacent. Et selon Laidre, la solution pour traiter ces boules de glace douloureuses et les effets en cascade sur les populations d’ours polaires est simple : réduire les émissions de gaz à effet de serre et limiter le réchauffement climatique.

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Crédits : Atwell Gerry / Pixnio

Les ours polaires, également dangereusement exposés à des agents pathogènes

Une autre nouvelle recherche révèle qu’à mesure que l’Arctique se réchauffe, les ours polaires risquent de plus en plus de contracter des virus, bactéries et parasites qu’ils étaient moins susceptibles de rencontrer il y a seulement trente ans. C’est en tout cas ce qu’affirment Karyn Rode et Caroline Van Hemert du U.S. Geological Survey dans une nouvelle étude publiée le 23 octobre 2024 dans le journal en accès libre PLOS ONE.

Pour cette étude, les chercheuses ont examiné des échantillons de sang d’ours polaires dans la mer des Tchouktches entre 1987 et 1994, puis trois décennies plus tard, entre 2008 et 2017, à la recherche d’anticorps contre six agents pathogènes. Cinq de ces agents pathogènes étaient plus courants dans les échantillons plus récents : les parasites responsables de la toxoplasmose et de la néosporose, les bactéries responsables de la tularémie et de la brucellose, et enfin le virus de la maladie de Carré. L’augmentation de la prévalence de ces agents pathogènes représente certains des changements d’exposition les plus rapides jamais signalés chez les ours polaires (augmentation de 13,7 % à 65 % de l’exposition).

Les auteures ajoutent : « pour certains agents pathogènes, le nombre d’ours polaires testés positifs pour des anticorps sériques, un indicateur d’exposition aux agents pathogènes, a plus que doublé et a atteint certains des niveaux les plus élevés identifiés dans une population. Ces résultats suggèrent que les voies de transmission des agents pathogènes ont changé dans cet écosystème arctique. »

Les chercheuses ont également cherché à identifier les facteurs qui augmentaient l’exposition des ours à ces agents pathogènes et ont découvert que l’exposition variait en fonction de leur alimentation et était plus élevée chez les femelles que chez les mâles, potentiellement parce que les femelles enceintes doivent se réfugier plus longtemps à terre pour élever leurs petits.

Des risques pas uniquement pour ces animaux

En se basant sur de simples échantillons sanguins, il est difficile d’estimer comment cela pourrait affecter leur santé physique pour l’instant. « Les ours sont en général assez solides face aux maladies », affirme la Dr Karyn Rode, biologiste spécialiste de la faune. « Ce n’est pas un facteur qui a généralement été connu pour affecter les populations d’ours, mais je pense que cela souligne juste que les choses changent [dans l’Arctique]. »

Dans cette région du monde où le réchauffement se produit à près de quatre fois le taux mondial et où les ours polaires subissent une perte rapide de leur habitat de glace de mer, les maladies infectieuses représentent toutefois une préoccupation croissante pour les gestionnaires de la faune et les communautés humaines.

Les personnes qui vivent dans l’Arctique chassent en effet parfois les ours polaires pour se nourrir, et de nombreux agents pathogènes détectés dans cette étude peuvent également donner lieu à une transmission aux humains. Les chercheuses insistent donc sur le fait qu’étant donné que les ours polaires font face à de nombreux stress liés au changement climatique et sont une source alimentaire de subsistance, des travaux supplémentaires seront nécessaires pour examiner ces populations à la recherche de signes de maladie.