Un duo de scientifiques français s’interroge : quels sont les effets des rayons ionisants sur les pollinisateurs ? Ces travaux nous emmènent à Fukushima (Japon), théâtre de la tristement célèbre catastrophe nucléaire de 2011. L’objectif est de comprendre comment la radioactivité peut influer sur les performances cognitives de ces insectes.
Pourquoi de telles recherches ?
Rappelons tout d’abord que les pollinisateurs tels que les abeilles et autres frelons ont de nombreuses facultés cognitives, leur permettant notamment de s’orienter dans l’espace ou encore, de reconnaitre les couleurs. Or, nous savons que la pollution et autres substances d’origine humaine dans l’environnement peuvent perturber la cognition de ces insectes. Qu’en est-il de la radioactivité ? Ce sujet a été exploré dans un article publié par CNRS Le Journal le 16 mai 2025.
Le magazine a interrogé Olivier Armant, du laboratoire Écologie et écotoxicologie des radionucléides de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) et Mathieu Lihoreau, éthologue au Centre de recherche sur la cognition animale (CRCA) du Centre de biologie intégrative de Toulouse (CBI). Le premier explore des pistes relatives à l’effet écologique des rayons ionisants, notamment sur la faune et la flore de la zone contaminée de Fukushima (Japon). Quant au second, celui-ci se passionne pour l’intelligence des abeilles et les facteurs d’altération de cette même intelligence
Les deux chercheurs collaborent aujourd’hui avec le Japon, au moyen d’un dispositif conçu avec la start-up toulousaine BeeGuard (voir ci-après). Il s’agit ici d’un concept de ruche connectée permettant la surveillance en temps réel de l’activité biologique de certaines espèces d’abeilles et ce, dans un contexte de radioactivité. Pour les scientifiques, ces travaux peuvent apporter des précisions sur les capacités d’apprentissage et de mémoire des abeilles mais pourraient également être utiles en écotoxicologie. Selon Mathieu Lihoreau, « si les abeilles montrent des déficits d’apprentissage dans certains lieux, c’est qu’il y a un souci. »

De premières conclusions peu optimistes
Pour le duo, des résidus radioactifs présent dans le nectar seraient en capacité d’altérer les facultés cognitives des abeilles. Par exemple, celles-ci se verraient dans l’impossibilité d’associer une récompense à une couleur (ou à une odeur). Les insectes pourraient alors butiner des fleurs de différentes espèces au lieu de se concentrer sur une seule et ainsi, ne plus apporter le bon pollen aux bonnes plantes. Sur le long terme, cette particularité pourrait remettre en cause la survie des colonies et plus généralement, le service de pollinisation essentiel à l’équilibre des écosystèmes. Ceci reste une hypothèse mais des conclusions similaires existent dans le cas de certaines zones de présence de pesticides.
Après plusieurs tests dans la région de Toulouse, la ruche connectée a été déployée dans la zone contaminée de Fukushima, dans le cadre de deux actions de terrain en 2023 et 2024. Les sites ont été sélectionnés en fonction du gradient de contamination des sols en césium 137 et les frelons locaux ont également fait partie de l’étude de cognition. Dans la ruche se trouve un labyrinthe en Y comportant deux chemins illuminés par des LED de différentes couleurs. Or, une seule des deux couleurs donne droit à une récompense, à savoir de l’eau sucrée. Selon les experts, une abeille en bonne santé a besoin d’une dizaine d’essais pour trouver le bon chemin.
Enfin, si les résultats de l’étude n’ont pas encore fait l’objet d’une parution dans une revue scientifique, les deux chercheurs français sont d’ors et déjà inquiets. En effet, ceux-ci ont affirmé avoir constaté une baisse des performances cognitives dans la zone contaminée de Fukushima. Néanmoins, s’il existe des corrélations, il n’y a pour l’instant aucune preuve de lien causal impliquant des contaminations radioactives. Toutefois, la zone en question étant aujourd’hui inhabitée, cette baisse de la cognition ne peut pas être le fait de la présence de pesticides.