IA Centaur
Crédits : Moor Studio/istock

Cette IA peut prédire votre comportement dans (presque) toutes les situations — Et ce n’est pas forcément flippant

Peut-on prédire avec précision ce que vous allez penser ou décider dans une situation donnée ? Cela ressemble à de la science-fiction, mais c’est aujourd’hui une hypothèse sérieusement envisagée. Un nouveau modèle d’intelligence artificielle, baptisé Centaur, promet de simuler nos comportements avec un réalisme saisissant. Son secret ? Une immersion sans précédent dans les mécanismes profonds de la cognition humaine.

Un cerveau artificiel nourri à la psychologie

Développé par une équipe de chercheurs allemands, Centaur n’est pas un modèle de langage comme les autres. Là où les IA classiques s’appuient sur des corpus de textes pour répondre ou générer du langage, Centaur a été entraîné sur plus de 10 millions de décisions humaines collectées lors de 160 expériences psychologiques. Ces données proviennent d’un ensemble unique baptisé Psych-101, considéré comme l’un des plus vastes au monde dans le domaine du comportement humain.

Chaque expérience inclut toutes les instructions données au participant, les stimuli perçus, et les choix effectués. En apprenant à partir de ces transcriptions complètes, Centaur a développé la capacité de prédire non seulement ce que les gens feraient, mais aussi le temps qu’ils mettraient à le faire, y compris dans des situations inédites.

64 % de précision, et ce n’est qu’un début

Lors de tests, Centaur a surpassé plusieurs modèles d’IA reconnus en psychologie cognitive. Il a pu prédire le comportement humain avec une précision de 64 %, un score jugé impressionnant dans un domaine où les variables sont multiples et souvent floues. Contrairement aux approches précédentes, Centaur ne se contente pas de généraliser des tendances : il anticipe les choix individuels dans des contextes spécifiques, en tenant compte de la dynamique temporelle.

Le chercheur Marcel Binz, auteur principal de l’étude, décrit son modèle comme un « laboratoire virtuel » : un espace où l’on peut tester des hypothèses, concevoir des expériences ou explorer des réactions humaines sans passer par des tests réels, longs et coûteux. Centaur devient ainsi un outil de simulation de la pensée humaine, capable d’offrir aux chercheurs un aperçu du raisonnement humain en action.

Un outil pour mieux comprendre… ou imiter ?

Mais Centaur fait plus que prédire. Il simule. Et c’est ici que les questions fondamentales apparaissent. Est-il simplement un miroir de nos comportements, ou reflète-t-il aussi la logique interne de notre cerveau ? Pour l’instant, les chercheurs restent prudents. Brenden Lake, spécialiste de la cognition computationnelle à l’Université de New York, souligne que Centaur pourrait bien se limiter à reproduire les résultats de la pensée, sans pour autant en saisir les mécanismes profonds.

Pour répondre à cette question, les concepteurs de Centaur prévoient d’aller plus loin. Ils ambitionnent de l’enrichir avec des données démographiques et psychologiques, comme l’âge, le niveau d’éducation ou les traits de personnalité. L’objectif est de créer une IA capable non seulement de prédire des choix généraux, mais aussi d’expliquer pourquoi une personne donnée, dans un contexte précis, réagirait d’une certaine façon.

cerveau IA test de Turing
Crédits : :Jolygon/istock

Des applications vertigineuses

Les applications potentielles sont aussi vastes que fascinantes. En santé mentale, par exemple, Centaur pourrait aider à comprendre comment la prise de décision diffère entre personnes atteintes de troubles psychiatriques et population générale. En pédagogie, le modèle pourrait simuler les réactions d’un élève confronté à différents types d’explications, permettant de tester virtuellement des méthodes d’enseignement.

Autre exemple en psychologie expérimentale, où Centaur pourrait transformer la manière dont les études sont conçues. Plus besoin de recruter des centaines de participants pour tester une hypothèse : une simulation IA bien paramétrée pourrait offrir un aperçu rapide et fiable des résultats attendus. Cela ouvre la voie à une recherche plus agile, plus précise, et potentiellement plus éthique.

Réalité ou illusion de compréhension ?

Mais ce modèle, aussi prometteur soit-il, soulève aussi des inquiétudes. Peut-on vraiment confier à une machine la tâche de modéliser l’esprit humain ? Et si Centaur devenait si performant qu’on lui prêtait des intentions ou des compréhensions qu’il n’a pas ? Le risque est de confondre prédiction et compréhension, et de penser que l’IA « pense », alors qu’elle ne fait qu’imiter.

Centaur est peut-être le simulateur le plus avancé jamais conçu pour explorer la pensée humaine, mais il reste à prouver s’il nous aide à comprendre le cerveau — ou simplement à jouer avec ses ombres.

Les détails de l’étude sont publiés dans la revue Nature.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.