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Cette étoile est si pure qu’elle prouve l’existence de quelque chose que personne n’a jamais vu

Dans les profondeurs de notre galaxie se cache une géante rouge qui n’aurait jamais dû exister sous cette forme. SDSS J0715-7334 est l’étoile la plus chimiquement pure jamais découverte, si vierge qu’elle semble avoir capturé dans sa composition l’écho direct des tout premiers instants stellaires de l’univers. Les astronomes pensent qu’elle s’est formée à partir du gaz d’une étoile mythique que personne n’a jamais vue : une étoile de Population III, vestige d’une époque où l’univers venait à peine de s’allumer.

Les fantômes lumineux du cosmos originel

Imaginez l’univers quelques centaines de millions d’années après le Big Bang. Pas de fer, pas de carbone, pas d’oxygène. Seulement de l’hydrogène et de l’hélium flottant dans l’obscurité cosmique. C’est dans ce brouillard primitif que se sont allumées les toutes premières étoiles, celles que les astrophysiciens nomment « Population III ».

Ces titans stellaires n’avaient rien à voir avec notre Soleil. Elles auraient pu atteindre des températures de 100 000 kelvins, soit 90 000 degrés de plus que notre étoile. À de telles températures, elles ne brillaient pas simplement : elles rugissaient dans l’ultraviolet, inondant l’univers naissant d’un rayonnement si énergétique qu’il a probablement contribué à ioniser tout l’hydrogène environnant.

Massives, brûlantes, éphémères. Ces géantes ont vécu vite et sont mortes jeunes, explosant en supernovae cataclysmiques après quelques millions d’années seulement. Aucune n’a survécu jusqu’à aujourd’hui. Nous sommes séparés d’elles non pas par la distance, mais par quelque chose de plus insurmontable : le temps. Treize milliards d’années nous éloignent de ces premières lueurs.

Une pureté chimique qui défie les standards

C’est précisément ce qui rend J0715-7334 si extraordinaire. Cette géante rouge possède la métallicité la plus faible jamais mesurée : environ deux fois moins de métaux lourds que le précédent détenteur du record. Pour les astronomes, « métal » désigne tout élément plus lourd que l’hélium, du carbone au fer en passant par l’oxygène.

Avec une métallicité totale inférieure à 7,8 × 10⁻⁷, cette étoile est presque aussi pure que le gaz primordial lui-même. Presque, mais pas tout à fait. Et c’est justement cette infime contamination qui raconte une histoire fascinante.

La plupart des étoiles anciennes et pauvres en métaux présentent un enrichissement en carbone, résidu de processus nucléaires complexes. Pas J0715-7334. Sa composition chimique est si étrange, si déséquilibrée, qu’elle ne peut s’expliquer que d’une seule manière : elle s’est formée directement à partir du nuage de gaz expulsé par une étoile de Population III.

L’héritage d’une supernova primordiale

Les modèles de nucléosynthèse permettent aux chercheurs de remonter le temps en analysant la signature chimique d’une étoile. Comme un détective cosmique qui reconstitue une scène de crime vieille de milliards d’années, l’équipe a reconstitué la biographie de J0715-7334.

Leur verdict : cette étoile provient d’une étoile progénitrice d’environ 30 masses solaires qui a explosé avec une énergie colossale, libérant environ 5 × 10⁵¹ ergs. Pour mettre ce chiffre en perspective, c’est plus d’énergie que notre Soleil n’en produira durant toute son existence de 10 milliards d’années.

Cette supernova primordiale a dispersé son gaz dans l’espace, un gaz presque vierge mais légèrement contaminé par les éléments forgés dans le cœur brûlant de l’étoile mourante. Des millions d’années plus tard, ce nuage s’est effondré pour former J0715-7334, une étoile « quasi vierge » portant en elle la mémoire chimique de l’aube stellaire.

Un voyage depuis le Grand Nuage de Magellan

L’histoire de J0715-7334 devient encore plus intrigante quand on remonte sa trajectoire orbitale. Les calculs suggèrent qu’elle ne s’est pas formée dans la Voie lactée, mais qu’elle provient du Grand Nuage de Magellan, notre galaxie satellite située à environ 160 000 années-lumière.

Son orbite actuelle la place dans le halo lointain de notre galaxie, loin de toute contamination par le milieu interstellaire moderne. C’est une caractéristique cruciale : isolée dans les confins galactiques, sa composition chimique est restée intacte depuis sa formation. Elle n’a pas été polluée par les générations successives d’étoiles qui ont enrichi le reste de la galaxie en métaux lourds.

Cette pureté préservée fait d’elle une capsule temporelle stellaire, un témoin direct d’une époque que nous ne pouvons observer autrement.

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Une image télescope du Grand Nuage de Magellan. Crédits : Zdeněk Bardon/ESO

La quête continue des premières lueurs

Malgré l’excitation suscitée par cette découverte, les chercheurs restent prudents dans leurs conclusions. Le télescope spatial James Webb a permis d’identifier des galaxies lointaines extrêmement pauvres en métaux, certaines avec des métallicités annoncées inférieures à [Z/H] < −3. Ces objets pourraient abriter des étoiles de Population III.

Mais les contraintes de métallicité de ces galaxies restent encore bien loin de ce qu’il faudrait pour affirmer qu’elles contiennent véritablement des étoiles primordiales. Une galaxie ayant la même composition que J0715-7334 produirait un signal dix fois plus faible que ce que nous pouvons actuellement détecter avec certitude.

La recherche des étoiles de Population III continue. Nous n’avons toujours pas observé directement ces géantes mythiques qui ont illuminé l’univers pour la première fois. Mais avec des étoiles comme J0715-7334, nous touchons du doigt leur héritage chimique. Nous lisons dans la composition atomique d’une étoile actuelle les ultimes échos d’une supernova qui a brillé quand l’univers n’était encore qu’un enfant. C’est peut-être la chose la plus proche de la magie que la science puisse offrir.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.