Ce que cette dent de loutre antique nous apprend sur la migration animale il y a des millions d’annĂ©es

C’est cet os de mĂ¢choire de loutre qui a Ă©tĂ© retrouvĂ© au Mexique/CrĂ©dits : Jack Tseng, UniversitĂ© de Buffalo

En mars, un palĂ©ontologue a retrouvĂ© un os de mĂ¢choire animale dans le centre du Mexique. L’élĂ©ment a Ă©tĂ© analysĂ© par Jack Tseng, professeur de sciences biomĂ©dicales de l’UniversitĂ© de Buffalo. Tseng travaillait au mĂªme moment sur la recherche d’une immigration intercontinentale de mammifères fossiles et cet Ă©chantillon a permis de l’aider dans ses recherches.

« Je pensais que c’était une dent de blaireau », a déclaré Tseng, « mais un collègue présent sur le site de la trouvaille venait de terminer une étude sur les loutres et il a affirmé qu’il s’agissait d’une loutre de mer. Mais qu’est-ce qu’une loutre de mer faisait dans le centre du Mexique ? »

S’avĂ©rant bien Ăªtre une loutre datant de 1,6 million d’annĂ©es, celle-ci aurait peut-Ăªtre fait partie d’un Ă©vĂ©nement d’immigration de la Floride Ă  la Californie. Sur le lieu de la dĂ©couverte, Tseng et ses collègues suggèrent l’existence d’un nouveau passage est-ouest pour la loutre et potentiellement pour d’autres mammifères. Le passage se serait fait le long du cĂ´tĂ© du nord de la ceinture volcanique transmexicaine (qui traverse le pays Ă  la latitude de Mexico). « C’est une idĂ©e entièrement nouvelle que personne d’autre n’a proposĂ©e. Nous pensons qu’il est très probable que d’autres animaux aient utilisĂ© ou utilisent cette route. »

Comme beaucoup de dĂ©couvertes capitales, celle-ci est prĂ©cieuse grĂ¢ce Ă  un petit dĂ©tail : la mĂ¢choire avait plusieurs dents. « Une des dents Ă©tait une première molaire infĂ©rieure qui est la dent la plus diagnostiquĂ©e chez un carnivore », dit Tseng. « Si nous avons la chance de trouver une molaire fossile complète, nous aurons beaucoup d’informations utiles. »

C’est cet os de mĂ¢choire de loutre qui a Ă©tĂ© retrouvĂ© au Mexique/CrĂ©dits : Jack Tseng, UniversitĂ© de Buffalo

La molaire était presque identique à une dent provenant d’un autre fossile d’Enhydritherium terraenovae, une ancienne espèce de loutre de mer trouvée en Floride. Des constatations semblables n’avaient été faites que sur les côtes en Floride et en Californie, mais les paléontologues ne savaient pas comment les animaux traversaient le continent. Une hypothèse suggère que les animaux se déplaçaient vers le nord du Canada (soit 8000 km), soit vers le Panama en descendant vers l’ouest.

La supposée route migratoire est-ouest au Mexique à l’époque du Miocène (23 à 5,3 millions d’années en arrière) a des implications pour un événement biologique beaucoup plus vaste : le grand échange interaméricain, lorsque des ponts terrestres ont été formés et des animaux dispersés en Amérique du Nord et en Amérique du sud. Cela montre que les sites fossiles de la région auraient pu enregistrer des détails sur cet échange biologique de proportion historique.

« Par rapport aux États-Unis, le Mexique est une ardoise vierge en termes de palĂ©ontologie », ajoute Tseng. La rĂ©gion est difficile Ă  examiner en raison de la topographie, de la flore (cactus). Il n’y a donc pas beaucoup de projets sur le terrain Ă  long terme, ce qui empĂªche les scientifiques d’en savoir plus sur le sujet. « Ce n’est que le dĂ©but de l’étude. Maintenant que nous avons cette preuve que les animaux se dĂ©placent Ă  travers le Mexique, nous pouvons dĂ©sormais chercher des preuves pour dire que d’autres animaux ont la mĂªme dĂ©marche. »

C’est dans le bassin du Juchipila, au Mexique, que le fossile a été découvert/Crédits : Jack Tseng, Université de Buffalo

C’est Adolfo Pacheco-Casro, doctorant Ă  l’universitĂ© nationale autonome du Mexique, qui a trouvĂ© la mĂ¢choire au site de fouille dans le bassin de Juchipila (860 km au sud-est du Texas). L’os a Ă©tĂ© amenĂ© directement Ă  l’universitĂ© pour Ăªtre nettoyĂ© et analysĂ©. La dent a Ă©tĂ© comparĂ©e Ă  celle trouvĂ©e en Floride. Les fossiles en Floride sont plus anciens que ceux de Californie, ce qui permet de dire que les migrations se sont faites d’est en ouest Ă  cette Ă©chelle. « Les animaux ont tendance Ă  Ă©largir leur territoire oĂ¹ et quand il y a une opportunitĂ©. », ajoute Tseng, « les populations agrandissent leur territoire, elles peuvent se dĂ©placer sur tout un continent ou mĂªme entre les continents. »

« La période de transition du Miocène-Pliocène était un moment de perturbation », rapporte Tseng, « les plaines d’Amérique auraient été comme l’Afrique avec de nombreux grands mammifères. Mais la période glaciaire approchait. » Beaucoup de grands mammifères ont péri dans l’ère glaciaire à partir de causes environnementales et anthropiques, mais des parents plus petits de l’Enhydritherium ont survécu aux temps modernes et vivent encore aujourd’hui dans le centre du Mexique.

Tseng s’attend à ce que certains membres de la communauté scientifique réfutent l’interprétation de ce corridor est-ouest, mais continuer la recherche peut confirmer cette théorie.

Apprenez-en plus sur cette découverte et les théories qu’elles proposent avec cette vidéo réalisée par l’Université de Buffalo :