On les croirait tout droit sorties d’un film de science-fiction. Recouvertes d’épines venimeuses, dépourvues de cerveau, capables de régénérer leurs bras… Les étoiles de mer couronne d’épines (Acanthaster planci), ou CoTS, intriguent autant qu’elles inquiètent les biologistes marins depuis des décennies. Pourtant, une récente découverte scientifique révèle que ces prédateurs insatiables, capables de décimer des hectares entiers de récifs coralliens, possèdent un mode de communication insoupçonné. Un langage chimique invisible qui expliquerait leurs mystérieuses attaques coordonnées.
Menée conjointement par l’Institut australien des sciences marines (AIMS), l’Université de la Sunshine Coast et l’Institut des sciences et technologies d’Okinawa (OIST) au Japon, cette étude lève le voile sur un phénomène aussi fascinant qu’inquiétant : ces étoiles de mer se transmettent des messages biochimiques via leurs épines pour organiser leurs mouvements et leurs comportements collectifs.
Un réseau de communication caché sous la mer
Depuis longtemps, les scientifiques s’interrogent sur la capacité des couronnes d’épines à se regrouper en véritables essaims destructeurs, capables de ravager des récifs coralliens en un temps record. Ces étoiles de mer ne sont pas de simples opportunistes se retrouvant par hasard sur une même parcelle de corail. Elles se coordonnent activement. Mais comment, sans cerveau, sans sang, sans système nerveux central comparable à celui des autres animaux ?
La réponse se trouvait… sur leur dos. Leurs épines, jusqu’ici considérées uniquement comme un moyen de défense, jouent un rôle bien plus stratégique : elles émettent et détectent des protéines spécifiques qui servent de signaux chimiques dans l’eau. Ces molécules, baptisées COTSP (Crown-of-Thorns Starfish Proteins), se propagent discrètement autour des individus, déclenchant chez leurs congénères des changements de comportement précis : déplacement, regroupement, agitation.
Un comportement social méconnu
En reproduisant ces protéines en laboratoire, les chercheurs ont observé que leur simple présence suffisait à modifier le comportement d’étoiles de mer maintenues en bassin. Plus actives, plus mobiles, elles orientaient leurs déplacements dans des directions précises, comme si elles suivaient une consigne venue d’ailleurs. Aucun stress extérieur, aucune réaction immunitaire ne semblait impliqué. Ces protéines ne servent ni à se défendre, ni à digérer. Leur fonction est purement sociale.
Grâce à des analyses génomiques poussées, l’équipe a confirmé que ces épines ne sont pas de simples pointes passives, mais des organes sensoriels sophistiqués, capables de capter et d’émettre un véritable langage chimique. Un système de communication rudimentaire, certes, mais diablement efficace.

Un fléau pour les récifs, une aubaine pour la science
Connues pour leur capacité à liquéfier les coraux à l’aide d’enzymes digestives, les couronnes d’épines représentent l’une des plus grandes menaces pour les récifs coralliens du Pacifique. Leurs populations explosent par vagues, formant des armées invisibles qui laissent derrière elles des champs de coraux blanchis et morts. Jusqu’ici, les tentatives pour limiter leur prolifération étaient fastidieuses et peu efficaces : il fallait localiser et éliminer individuellement ces étoiles de mer résistantes, capables de survivre à la perte de plusieurs de leurs membres.
La découverte de ce « langage chimique » ouvre une toute nouvelle voie. Les chercheurs sont parvenus à synthétiser un peptide non toxique capable d’imiter ces signaux naturels et d’attirer les étoiles de mer vers un point précis. Ce leurre, baptisé « attractines d’Acanthaster », pourrait permettre de concentrer les individus en un même lieu, simplifiant considérablement leur élimination. Un espoir majeur dans la lutte pour la préservation des récifs coralliens.
« Nous avons découvert que les épines du CoTS détectent et sécrètent une large gamme de peptides, jouant un rôle bien plus complexe que celui de simples défenses », explique le professeur Noriyuki Satoh, directeur de l’unité de génomique marine de l’OIST. « En reproduisant ces peptides que nous soupçonnions d’agir comme des phéromones, nous avons pu influencer le comportement des étoiles de mer et imaginer de nouvelles stratégies pour contrôler leurs essaims. »
Un pas décisif pour la protection des océans
Cette avancée scientifique pourrait bouleverser la gestion des populations de CoTS dans les années à venir. À terme, il serait envisageable de déployer ces peptides synthétiques sur des zones stratégiques pour attirer les étoiles de mer vers des pièges ou des points d’élimination, réduisant ainsi leur impact sans recourir à des produits chimiques nocifs.
Alors que les récifs coralliens sont déjà fragilisés par le réchauffement climatique, la pollution et l’acidification des océans, la lutte contre les prédateurs naturels destructeurs comme la couronne d’épines devient plus urgente que jamais. Cette découverte démontre aussi combien les mystères des fonds marins restent vastes, même concernant des espèces qui peuplent nos océans depuis plus de 500 millions d’années.
Comprendre leur langage pourrait bien être la clé pour sauver ce qu’il reste des récifs.
