À la mort d’un organisme vivant, toutes les parties qui le composent ne se prêtent pas forcément à la fossilisation. Si les os, les arêtes, les dents ou encore les écailles peuvent survivre aux affres du temps, il n’en va pas de même des tissus mous qui, à moins de se retrouver piégés dans la glace, dans des tourbières (des conditions anaérobies, avec peu d’oxygène) ou dans de l’ambre, se décomposent très rapidement après la mort. De tous les organes humains, le cerveau est celui dont on pensait qu’il se décomposait le plus vite. Aussi, les archives fossiles concernant cet organe sont souvent considérées comme extrêmement rares et particulièrement inhabituelles par les paléobiologistes. Pourtant, une étude exhaustive de l’Université d’Oxford portant sur plus de 4 000 cerveaux anciens incroyablement bien préservés démontre que ce n’est pas un phénomène aussi unique qu’on le pensait.
Une étude portant sur des cerveaux anciens en bon état de préservation
C’est en travaillant dans les pompes funèbres que la Dre Alexandra Morton-Hayward, la principale autrice de ces travaux relayés le 20 mars dans Proceedings of the Royal Society B, a commencé à s’intéresser à la question de la préservation du cerveau. Bien que cet organe soit connu pour être le premier à se décomposer post-mortem, elle a en effet remarqué que s’il pouvait parfois se liquéfier rapidement, il arrivait aussi qu’il se conserve finalement assez bien. De nombreux chercheurs avaient également déjà attiré l’attention de la communauté scientifique sur le fait que dans de bonnes conditions, la conservation en bon état était tout à fait possible.

Dans le cadre de leur étude, la plus complète du genre, les chercheurs d’Oxford ont ici décidé de compiler et passer en revue 4 400 cerveaux humains bien conservés provenant de 213 sources différentes pour étudier de manière plus méthodique le phénomène de préservation avec une base de données aussi exhaustive que possible. Ils ont pu travailler sur des cerveaux provenant de tous les continents (sauf l’Antarctique), depuis des archives fossiles provenant d’explorateurs au Pôle Nord à des soldats de la guerre civile espagnole en passant par des victimes de sacrifices incas. Le plus ancien avait 12 000 ans .
Comme l’explique la professeure Erin Saupe, une coauteure de l’étude qui travaille au Département des Sciences de la Terre de l’Université d’Oxford, ces travaux « soulignent l’éventail d’environnements dans lesquels ils peuvent être préservés, de l’Extrême arctique aux déserts arides. »
Des conditions de conservation différentes et une apparence qui varie
En fonction des conditions de préservation, les cerveaux analysés avaient été préservés grâce à la déshydratation des tissus, la congélation, la saponification (par laquelle les graisses se transforment en adipocire [ou gras de cadavre]), le tannage ou grâce à une intervention humaine. Ces organes peuvent alors se présenter sous différentes couleurs et apparences, oscillant entre le sec et friable, et le spongieux plus mou, semblable à du tofu.
1 300 cerveaux anciens parmi ceux étudiés ont étonné les chercheurs
Dans le cas de processus bien connus comme les corps incas lyophilisés vieux de 1450 ans apr. J.-C, les cadavres de tourbières tannés vieux de 2 400 ans trouvés au Danemark ou les victimes saponifiées de la guerre civile espagnole, tous les tissus mous ou presque sont préservés (muscles, entrailles, autres organes ou encore peau), et pas uniquement le cerveau.
Ici, plus de 1 300 cerveaux sortaient du lot, car ils avaient été préservés alors qu’ils se trouvaient au sein de restes uniquement squelettiques. Chez ces cadavres, retrouvés dans des tombes gorgées d’eau ou des épaves englouties, les os flottaient et le cerveau était le seul tissu mou qui restait. Or, les chercheurs ne s’attendaient tout bonnement pas à retrouver le moindre tissu mou dans un environnement détrempé. « C’est très, très étrange », s’étonne la Dre Morton-Hayward.

Pourquoi cet organe a-t-il survécu et pas les autres ?
Les cas des 1 300 cerveaux préservés alors que le corps n’était plus qu’un squelette sont très intrigants. Les chercheurs avancent toutefois certaines hypothèses et explications possibles. La présence de fer pourrait notamment agir comme un catalyseur permettant la formation de liens entre les protéines et les lipides, ce qui pourrait alors former des molécules très stables et résistantes à la dégradation. Dans ce cas, la nature des protéines et lipides dans le cerveau ainsi que leur proportion pourrait être un élément clé.
« Que ces circonstances soient environnementales ou liées à la biochimie unique du cerveau sera l’objet de nos futurs travaux. […] Nous trouvons un nombre et des types incroyables de biomolécules préservées dans ces cerveaux archéologiques et il est excitant de découvrir tout ce qu’ils peuvent nous dire que la vie et la mort de nos ancêtres. »

Des données importantes pour les futures excavations
En plus de ces interactions moléculaires qui restent à étudier, cette étude apporte une information importante pour les futures excavations. En effet, les cerveaux préservés peuvent avoir la même teinte que le sol environnant. Les archéologues risquent donc de s’en débarrasser par mégarde. Grâce à cette étude, les chercheurs pourront à l’avenir y prêter plus attention.
