Celui qui contrôle votre éjaculation n’est pas celui que vous croyez… mais un acteur bien plus surprenant

Pendant des décennies, la science a cru comprendre le fonctionnement de la sexualité masculine. Le cerveau orchestrait le désir, l’excitation et le comportement sexuel, tandis que la moelle épinière se contentait d’un rôle passif : appuyer sur le bouton de l’éjaculation au bon moment. Cette vision rassurante d’une hiérarchie claire vient de s’effondrer. Une étude publiée dans Nature Communications révèle en effet que la moelle épinière joue un rôle infiniment plus sophistiqué qu’imaginé, remettant en question notre compréhension fondamentale de la physiologie sexuelle. Les implications pour la médecine et notre conception même du plaisir sont considérables.

Le modèle traditionnel s’effondre

Constanze Lenschow, neurobiologiste et co-première autrice de cette recherche, résume la croyance dominante avec une métaphore éloquente : « Pendant de nombreuses années, les scientifiques ont pensé que le cerveau ‘dirigeait le show’ du comportement sexuel tandis que la moelle épinière se contentait d »appuyer sur la gâchette’ pour l’éjaculation. »

Cette vision hiérarchique semblait logique. Le cerveau, siège de la conscience et du désir, gérait les aspects complexes de la sexualité : l’excitation mentale, les comportements de séduction, la décision de s’engager dans un rapport. La moelle épinière n’intervenait qu’à la toute fin, déclenchant mécaniquement l’éjaculation comme un simple réflexe spinal.

Les nouvelles données expérimentales pulvérisent ce schéma simpliste. La réalité s’avère infiniment plus nuancée, avec une moelle épinière qui dialogue constamment avec le cerveau et influence activement chaque étape du comportement sexuel.

Une expérience qui change tout

L’équipe de recherche a focalisé son attention sur des neurones particuliers situés dans la moelle épinière des souris. Ces cellules nerveuses produisent de la galanine, un neuropeptide qui sert de messager chimique pour transmettre les informations nerveuses. Chez le rat, la stimulation de ces neurones provoque une éjaculation immédiate et réflexe.

Mais les souris ont réservé une surprise aux scientifiques. Lorsque ces mêmes neurones à galanine furent stimulés, seuls les muscles bulbo-spongieux du pénis s’activèrent, ceux responsables de l’éjection finale du sperme. Pourtant, aucune éjaculation complète ne se produisit. Les muscles situés en amont, notamment ceux des canaux déférents, des vésicules séminales et de la prostate, ne répondirent pas à la commande.

Cette observation apparemment anodine révélait en réalité quelque chose de fondamental : contrairement aux rats qui éjaculent par simple réflexe, les souris nécessitent une coordination bien plus élaborée. Leurs neurones spinaux ne sont pas de simples interrupteurs, mais des intégrateurs sophistiqués d’informations multiples.

Des neurones actifs bien avant l’éjaculation

L’utilisation de souris génétiquement modifiées pour rendre fluorescents leurs neurones à galanine a permis d’observer leur activité en temps réel. Résultat stupéfiant : ces neurones s’activent dès les premières phases de l’excitation sexuelle, bien avant toute intromission. Ils restent actifs pendant les pénétrations répétées et orchestrent finalement l’éjaculation.

Lorsque les chercheurs ont désactivé sélectivement ces neurones, les conséquences furent spectaculaires. Les souris mâles manifestèrent des accouplements manqués plus fréquents et des rythmes sexuels perturbés. Leur comportement sexuel global se trouvait profondément affecté, pas seulement leur capacité à éjaculer.

Cette découverte renverse complètement le paradigme. Les neurones spinaux ne se contentent pas d’exécuter passivement les ordres du cerveau. Ils participent activement à la construction de l’excitation, au maintien du rythme sexuel et à la coordination fine des différentes phases de l’accouplement.

souris éjaculation
Crédit : Evgenyi_Eg/iStock

La clé de la période réfractaire

Une autre observation intrigue particulièrement les scientifiques. Lorsque les neurones à galanine sont stimulés de façon répétée, leur réponse s’affaiblit drastiquement. Après une première activation menant à l’éjaculation, ces neurones entrent dans un état que Lenschow qualifie de « déprimé », comme si le système entrait en période réfractaire.

Cette période réfractaire, pendant laquelle une nouvelle éjaculation devient physiologiquement impossible, serait donc directement régulée par ces neurones spinaux. Bien que les mécanismes précis restent à élucider, cette découverte ouvre des pistes thérapeutiques prometteuses pour traiter certains dysfonctionnements sexuels.

Un modèle plus proche de l’humain

Pourquoi cette recherche sur les souris révolutionne-t-elle notre compréhension de la sexualité humaine ? Parce que le processus observé chez la souris ressemble davantage au nôtre qu’on ne le pensait. Les rats peuvent éjaculer de manière purement réflexe et répétée, un mécanisme éloigné de la sexualité humaine qui implique une montée progressive de l’excitation, une intégration de multiples signaux sensoriels et émotionnels, puis une période réfractaire marquée.

Constanze Lenschow ne cache pas son enthousiasme : « Les souris pourraient être plus adaptées pour comprendre le fonctionnement de la sexualité humaine, comment l’excitation se développe et comment l’éjaculation est régulée. » L’équipe prévoit d’étendre ses recherches aux femelles tout au long de leur cycle reproductif et d’identifier les neurones cérébraux qui dialoguent avec ces circuits spinaux.

Ce dialogue permanent entre signaux sensoriels, état physiologique, moelle épinière et cerveau dessine une image bien plus riche et complexe de notre sexualité que le schéma hiérarchique qui prévalait jusqu’ici.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.