Et si un simple test sanguin permettait un jour de détecter un cancer des années avant les premiers symptômes ? Une récente étude américaine laisse entrevoir cette possibilité fascinante. En analysant du plasma sanguin vieux de plusieurs décennies, des chercheurs ont réussi à retrouver des traces d’ADN tumoral… bien avant que la maladie ne se déclare. Une avancée qui pourrait transformer radicalement le dépistage du cancer — mais qui soulève aussi de nombreuses questions.
Un test sanguin qui lit l’avenir ?
L’idée peut sembler tout droit sortie d’un film de science-fiction : prédire l’apparition d’un cancer des années à l’avance, simplement en examinant le sang d’une personne apparemment en parfaite santé. Pourtant, c’est exactement ce que vient de démontrer une équipe de scientifiques dirigée par le Dr Yuxuan Wang de l’Université Johns Hopkins.
En analysant le plasma sanguin — le liquide qui transporte les cellules du sang — de 52 participants à une ancienne étude médicale, les chercheurs ont détecté, dans certains cas, des mutations génétiques typiques des cellules cancéreuses. Ces anomalies étaient présentes jusqu’à 3,5 ans avant que le diagnostic de cancer ne soit posé.
L’ADN tumoral, un messager invisible
Quand une cellule cancéreuse meurt, elle relâche son contenu, dont des fragments d’ADN, dans la circulation sanguine. C’est ce qu’on appelle l’ADN tumoral circulant. En théorie, il est donc possible d’identifier la présence d’une tumeur simplement en analysant ces fragments — avant même que la tumeur soit visible sur un scanner ou qu’elle ne provoque le moindre symptôme.
Dans cette étude, publiée dans la revue Cancer Discovery, l’équipe a d’abord identifié des mutations génétiques communes à plusieurs types de cancers dans les échantillons de plasma de patients diagnostiqués quelques mois après leur don de sang. Puis, en remontant à des échantillons plus anciens (3 à 3,5 ans avant le diagnostic), ils ont retrouvé les mêmes mutations, prouvant que des signaux précoces de la maladie existaient bien à cette époque.
Une efficacité encore limitée… mais prometteuse
Sur les 26 personnes qui ont développé un cancer peu après leur don de sang, l’ADN tumoral n’a été détecté que chez 7 d’entre elles, et seulement 3 présentaient des signes détectables plus de trois ans à l’avance.
Ce taux de détection reste donc faible. Plusieurs raisons à cela : la quantité d’ADN libérée dans le sang peut être très faible, surtout si la tumeur est petite ou située dans un organe « isolé » comme le cerveau, protégé par la barrière hémato-encéphalique. De plus, certains cancers excrètent naturellement moins d’ADN que d’autres.
Pour le moment, la méthode n’est donc pas assez sensible pour être utilisée seule comme outil de dépistage généralisé. Mais elle ouvre une voie prometteuse vers une médecine prédictive, capable d’agir bien avant l’apparition de la maladie.

Un outil puissant… mais encore inaccessible
Détecter des mutations cancéreuses dans le plasma nécessite de séquencer l’ADN du patient, une technique encore coûteuse : plusieurs centaines à plusieurs milliers d’euros par test. Il est donc peu probable que cette méthode puisse être rapidement généralisée à toute la population.
En revanche, elle pourrait devenir un outil précieux pour les groupes à risque, par exemple les personnes ayant des antécédents familiaux de cancer. Ces patients pourraient bénéficier d’un suivi plus rapproché, et peut-être, à l’avenir, de traitements préventifs avant même que la tumeur n’émerge.
Entre promesse scientifique et prudence éthique
La perspective de dépister un cancer des années à l’avance soulève aussi des questions éthiques majeures. Que faire si une mutation est détectée, mais que la tumeur ne se développe jamais ? Comment éviter les faux positifs, qui pourraient entraîner une vague de stress, de biopsies inutiles ou même de traitements agressifs chez des patients en bonne santé ?
Pour Catherine Alix-Panabières, spécialiste en oncologie à l’Université de Montpellier (et non impliquée dans l’étude), la mise en œuvre d’un tel test en pratique clinique nécessite des protocoles très stricts. Elle souligne la nécessité de « lignes directrices claires sur la manière de gérer les découvertes fortuites », pour éviter des conséquences médicales et psychologiques potentiellement graves.
Une boussole pour l’avenir du dépistage
Malgré ses limites, cette étude représente une avancée importante dans la lutte contre le cancer. Elle démontre qu’il est possible, au moins chez certains patients, de détecter la maladie bien avant qu’elle ne se manifeste cliniquement. Cela pourrait, à terme, révolutionner les stratégies de dépistage, en ajoutant une corde supplémentaire à l’arc des médecins.
Mais pour que cette vision devienne réalité, il faudra encore des études à plus grande échelle, impliquant des milliers de participants, et une baisse significative du coût des technologies de séquençage.
D’ici là, ce type de recherche rappelle une chose essentielle : la guerre contre le cancer se joue aussi — et peut-être surtout — sur le terrain de la détection précoce.
